Tue le flic dans ta tête — Greg Jackson

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34 min readApr 1, 2022

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Pamphlet réalisé par le collectif du journal Black Autonomy, A Newspaper of Anarchism and Black Revolution. Première impression, avril 1996. Récupéré de la Bibliothèque Anarchiste.

Il est difficile de savoir par où commencer cette lettre ouverte aux différents groupes de la gauche européenne-amérikkkaine (marxistes-léninistes et marxistes-léninistes-maoïstes, en particulier) aux États-Unis. J’ai de nombreux problèmes avec de nombreux groupes; certains généraux, d’autres très spécifiques. La façon dont cela est présenté peut sembler éparpillée au premier abord, mais je vous encourage tous à lire et à considérer attentivement ce que j’ai écrit dans son intégralité avant de porter un quelconque jugement.

C’est V.I. Lénine qui a dit : “nous empruntons à chaque culture nationale uniquement ses éléments démocratiques et socialistes, nous les empruntons uniquement et absolument par opposition à la culture bourgeoise, au nationalisme bourgeois de chaque nation”. On pourrait dire que la déclaration de Lénine dans le contexte amérikkkain actuel est en fait une position racialiste ; qui est-il (et les bolcheviks eux-mêmes) pour “empruntons” à qui que ce soit ou porter un jugement sur qui que ce soit ; en particulier parce que les privilèges de la peau blanche sont un facteur prédominant dans le contexte de l’oppression à l’amérikkkain. Ce privilège limité dans la société capitaliste est un facteur primordial dans la création et le maintien de l’idéologie bourgeoise dans l’esprit de nombreux Blancs de diverses classes aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

Depuis quand les luttes ou les mouvements légitimes de libération nationale et de classe doivent-ils “demander la permission” à une “autorité” intellectuelle eurocentrique qui a peut-être vu la famine et la brutalité, mais n’en a jamais fait l’expérience elle-même ? Là où il y a répression, il y a résistance… point final. L’autodéfense est un droit humain fondamental que nous, en tant que Noir.e.s, avons exercé maintes et maintes fois, de manière violente et non-violente ; une réalité dialectique et historique qui a maintenu beaucoup d’entre nous en vie jusqu’à ce jour.

En supposant que ce n’était pas l’intention de Lénine, et en supposant que vous défendez tous réellement le socialisme/communisme mondial, alors la question doit être posée: Comment se fait-il que chaque “avant-garde” dominée ou dirigée par des Blancs aux États-Unis a, en fait, fait exactement le contraire de ce que Lénine proclame/recommande lorsqu’il s’agit d’interagir avec les Noirs et les autres personnes de couleur ?

Est-ce que l’un.e d’entre vous s’est assis.e et a sérieusement réfléchi.e aux raisons pour lesquelles nous sommes si peu nombreux dans vos organisations ; et en même temps, pourquoi les formations socialistes/communistes non blanches, en particulier dans la communauté noire, sont si petites et isolées ? J’ai quelques idées…

I. Une analyse fondamentalement incorrecte du rôle de la gauche blanche durant ces trente dernières années de lutte pour les droits civiques et la libération des Noirs…

De l’avis général, des groupes tels que le Black Panther Party, le Student Nonviolent Coordinating Committee, la League of Revolutionary Black Workers, l’American Indian Movement et le Puerto Rican Independence Movement ont “fixé la norme” non seulement pour les communautés de couleur, mais aussi pour les éléments révolutionnaires de la communauté blanche.

Tous les groupes susmentionnés ont été impitoyablement écrasés ; leurs membres ont été emprisonnés ou tués. Très peu de groupes de la gauche blanche de l’époque ont riposté à l’assaut du COINTELPRO en soutenant ces groupes, à l’exception des petites cellules clandestines armées. En fait, de nombreux groupes tels que le Progressive Labor Party et la Revolutionary Union (aujourd’hui connue sous le nom de Revolutionary Communist Party, USA) ont vu dans la répression de groupes qu’ils admiraient, et en même temps méprisaient, une occasion d’affirmer leur propre version de “l’avant-garde” sur notre population.

Ce qu’ils n’ont pas réalisé (et ce que beaucoup d’entre vous ne réalisent généralement toujours pas), c’est que “l’avant-garde” ça se développe, ça ne se produit pas “magiquement” par le biais d’affirmations moralisatrices et dogmatiques, et elle ne tombe pas du ciel. Au lieu de travailler avec les petites formations autonomes, pour faciliter la croissance de l’auto-organisation des Noir.e.s (et des Blanc.he.s, “l’avant-garde” des masses noires elles-mêmes et de toutes les autres, nourri par des alliances sociales/politiques de base unies par principe), ils ont plutôt cherché à les prendre en charge ou à diviser leurs membres les uns contre les autres jusqu’à ce que le ou les groupes soient liquidés. Ces pratiques parasites et paternalistes se poursuivent aujourd’hui encore.

La seule raison pour laquelle une sorte d’unité de principe a existé avant la répression à grande échelle, c’est parce que les formations dirigées par des Noir.e.s ne se faisaient aucune illusion sur les radicaux blancs ou leurs politiques, et n’avaient aucun problème à leur casser la gueule s’ils commençaient à faire des conneries. Notez également que la majorité des radicaux blancs qui ont participé à de véritables luttes et à de véritables organisations, et qui ont bénéficié de la confiance et du respect de notre peuple, sont soit toujours actifs… soit toujours en prison !

II. Le concept de “parti d’avant-garde” de la gauche blanche…

Une telle arrogance de la part de la gauche blanche fait partie intégrante de vos idées et pratiques avant-gardistes. Au lieu de rechercher des partenariats de principe avec des personnes et des groupes non-Blancs, vous cherchez plutôt à convertir les gens à la théologie politique rigide de votre parti sous le couvert d’”unité”. Il est logique que la plupart d’entre vous parlent d’une “unité noire/blanche” et de “lutte acharnée contre le racisme” en des termes aussi vagues, et avec une telle incertitude dans la voix ; ou avec une force exagérée qui semble artificielle.

Un autre argument contre les tendances avant-gardistes chez les individus ou parmi les groupes est la création du sectarisme et d’un culte organisationnel entre les groupes et au sein des groupes. Karl Marx lui-même a lutté sans relâche contre le sectarisme au sein du mouvement de la classe ouvrière de l’Europe du XIXe siècle. Il était également un combattant acharné contre ceux qui tentaient de pousser sa personnalité à un statut presque divin, déclarant une fois avec frustration “Je vous assure, monsieur, que je ne suis pas marxiste”. De ce point de vue, on pourrait dire que la gauche blanche “avant-gardiste” aux États-Unis aujourd’hui est généralement, par une définition enracinée dans la pratique quotidienne de Marx lui-même, anti-Marx ; et par procuration, anti-révolutionnaire.

À l’instar d’une PME, les diverses “avant-gardes” autoproclamées sont en concurrence les unes avec les autres, ainsi qu’avec les personnes elles-mêmes (blanches et non blanches) ; elles s’accusent mutuellement de provocateurs, d’opportunistes et/ou de posséder “la ligne incorrecte”, alors qu’en fait, la plupart (sinon toutes) sont des provocatrices, des opportunistes et des personnes fondamentalement incorrectes.

La nature de la concurrence capitaliste exige que de telles méthodes et tactiques soient utilisées au maximum afin de “gagner” dans le monde des affaires ; la gauche blanche a en fait adapté ces méthodes et tactiques à sa propre marque d’organisation, réinventant et renforçant activement les relations sociales, politiques et économiques mêmes contre lesquelles vous prétendez vous opposer ; réussissant à saper les fondements mêmes de votre théorie générale et de toutes les variantes de cette théorie.

Ou alors ce phénomène fait-il partie intégrante de votre théorie ? Dans le quatrième volume des œuvres rassemblées de V.I. Lénine, Lénine lui-même déclare d’emblée que “le socialisme est un capitalisme d’État”. Êtes-vous tous en train de suivre aveuglément un “plan” étranger et daté qui est largement hors contexte à la base, sans réelle compréhension de son fonctionnement ?

En même temps, on peut observer que vous n’êtes que des produits de votre environnement, le reflet des communautés et des familles aliénées et hostiles dont beaucoup d’entre vous sont issus. La société amérikkkaine vous a enseigné les principes de “survie du plus fort” et d’“individualisme sauvage”, et vous avez avalé ces doctrines comme le lait de votre mère.

Parce que la gauche blanche refuse de combattre et de rejeter les tendances réactionnaires dans leur (vos) propre(s) tête(s) et entre eux (vous), et parce qu’iels (vous) refusent de voir comment la culture blanche est fermement enracinée dans le capitalisme et l’impérialisme ; refusant de la rejeter au-delà des appropriations culturelles superficielles (par ex. des “attrape-rêves” amérindiens accrochés aux rétroviseurs de vos véhicules, le port d’Adidas ou de Nikes avec de gros lacets et des jeans Levis surdimensionnés ou des pantalons Dickies portés à la manière de “LA sag”, des tentatives grossières de “s’intégrer” par une surutilisation exagérée et insultante du dernier terme d’argot de “da hood”, etc), vous réinventez en fait des relations sociales racistes et autoritaires comme produit final de votre soi-disant “théorie révolutionnaire” ; ce que j’appelle la suprématie blanche de gauche.

Ce dilemme tragique est aggravé par, et trouve certaines de ses racines initiales dans, votre “analyse” généralement ahistorique et fantaisiste des relations Noir.e.s/Blanc.he.s aux Etats-Unis ; et les définitions rigides et dogmatiques du “socialisme scientifique” ou du “communisme révolutionnaire”, basées dans un contexte eurocentrique. Ainsi, on attend de nous que nous embrassions ces valeurs “socialistes” de la culture du colon/conquérant, plutôt que les “valeurs amérikkkaines traditionnelles” de vos adversaires réactionnaires ; comme si nous ne possédions pas nos propres valeurs “socialistes”, enracinées dans nos propres réalités quotidiennes et culturelles ! Le Black Panther Party n’était-il pas “socialiste” ? Et l’Underground Railroad ? Nos ancêtres (et oui, même certains des vôtres) pratiquaient l’“entraide” à l’époque où la plupart des théoriciens révolutionnaires européens en parlaient encore comme d’un idéal noble et lointain !

L’article de Joseph Green intitulé “Anarchism and the Market Place”, paru dans le bulletin d’information “Communist Voice” (vol. 1, numéro 4, 15 septembre 1995), est un exemple extrême de ce type de souhaits au lieu d’une véritable analyse des dynamiques politiques historiques et actuelles propres à ce pays.

Il y affirme que l’anarchisme n’est rien de plus que des opérations à petite échelle gérées par des individus qui conduiront inévitablement à la réintroduction de l’exploitation économique. Il affirme également qu’“il échoue parce que son incapacité à comprendre la relation entre la liberté et l’activité de masse reflète l’idéologie capitaliste du chacun pour soi”. Il propose ensuite un vague “plan d’action”, selon lequel les travailleurs doivent s’appuyer sur “l’organisation de classe et la lutte de masse géméralisée”.En outre, il plaide pour la centralisation de tous les moyens de production.

Il est clair que l’idéologie politique de Green est en fait une théologie. Tout d’abord, l’anarchisme a été pratiqué à grande échelle tout récemment en Espagne, de 1936 à 1939. Selon la plupart des témoignages (y compris les marxistes-léninistes), les organisations de la classe ouvrière espagnole telles que la CNT (Confédération nationale du travail) et la FAI (Fédération anarchiste ibérique) ont pris le véritable pouvoir direct des travailleurs et ont en fait maintenu les gens en vie pendant une guerre civile massive.

Leur principal échec se situe au niveau militaire, et partiellement au niveau idéologique : (1.) Ils n’ont pas mené une lutte prolongée contre la Phalange fasciste avec l’intention de la chasser de la surface de la planète. (2.) Ils ont sous-estimé la trahison de leurs “alliés” marxistes-léninistes (et même de certains de leurs “alliés” anarchistes), qui se sont ensuite rangés du côté du gouvernement libéral pour détruire les collectifs anarchistes. Certains membres de la CNT ont même rejoint le gouvernement au nom d’un “front uni contre le fascisme”. Et (3.), ils n’avaient pas passé assez de temps à développer réellement leurs réseaux à l’extérieur du pays au cas où ils auraient besoin d’armes, de provisions ou d’un endroit où se réfugier rapidement.

En plus d’omettre ces faits importants, Green omet également qu’aujourd’hui la majorité des groupes de soutien aux prisonniers aux États-Unis sont dirigés ou influencés par des anarchistes. Il omet aussi de dire que les anarchistes sont généralement les plus impliqués dans les questions de base comme les sans-abri, les violences policières, les activités du Klan/Nazis, les questions de souveraineté des autochtones, la défense [physique] des cliniques de santé pour femmes, la prévention des agressions sexuelles, les droits des animaux, l’environnement et les questions de liberté d’expression.

Green s’en prend ensuite aux “partisans du réalisme capitaliste d’un côté et aux rêveurs anarchistes de l’autre”. Ce qu’il ne comprend pas, c’est que le mouvement sera influencé principalement par ceux qui font un travail pratique autour des luttes quotidiennes, et non par ceux qui débitent une rhétorique vide sans fondement dans la réalité parce qu’ils sont eux-mêmes (comme Green) fondamentalement incapables de mettre en pratique ce qu’ils prêchent. Toute théorie qui ne peut pas, au minimum, être démontrée à l’échelle miniature (en tenant compte de la réalité actuelle des limites imposées par la société capitaliste/suprémaciste blanche sur le plan économique, social et militaire) dans la vie quotidienne ne mérite même pas une discussion sérieuse, car il s’agit d’un dogme rigide de la pire espèce.

Même s’il pouvait “montrer et prouver”, le système qu’il propose est condamné à répéter les pratiques cannibales de Josef Staline ou de Pol Pot. Si la planification de l’État peut accélérer la croissance économique, personne, de Lénine à Mao, en passant par Green lui-même, n’a véritablement traité de la relation de pouvoir entre la classe ouvrière et les “révolutionnaires” de la classe moyenne qui s’emparent du pouvoir d’État “au nom” de cette dernière. Comment peut-on utiliser les méthodes d’organisation de la bourgeoisie européenne, “la construction de partis [hiérarchiques]” et “la prise du pouvoir de l’État”, et ne pas s’attendre à ce que cette méthode d’organisation des gens ne prenne pas les caractéristiques réactionnaires de ce qu’elle est censée chercher à éliminer ? Il y a ensuite la question de l’affirmation de sa volonté autoritaire sur les autres (la tactique de recrutement habituelle de la gauche blanche qui tente d’attirer des membres noirs).

À un moment de l’article, Green affirme que les relations sociales anarchistes prennent les caractéristiques oppressives de l’idéologie capitaliste dans laquelle elles sont enracinées. Vraiment ? Qu’en est-il des caractéristiques capitalistes des “radicaux” blancs, ahistoriques, qui savent tout et qui peuvent tout aussi efficacement revendiquer des relations sociales capitalistes et oppressives lorsqu’ils utilisent une structure de parti verticale (surtout lorsqu’elle est utilisée contre les populations minoritaires) ? Qu’en est-il de la réaffirmation du patriarcat (ou de l’abus physique et mental réel) dans les relations interpersonnelles, en particulier lorsqu’une structure organisationnelle permet, et récompense, les relations sociales oppressives ?

Quelle est la différence qualitative entre un bureaucrate de parti qui utilise sa position pour voler le peuple (en plus de vivre un style de vie néo-bourgeois ; privilège dérivé de sa position officielle et justifié par les autres membres du parti qui font de même. Et, potentiellement, dérivé de la couleur de sa peau dans le contexte amérikkkain) et un membre collectif qui vole la communauté locale ? Une différence majeure est que le bureaucrate ne peut être renvoyé que par le parti, le peuple (une fois de plus) n’a pas vraiment voix au chapitre (à moins que le peuple lui-même ne prenne les armes et déloge le bureaucrate et son parti) ; le membre du collectif peut recevoir une punition rapide enracinée dans les véritables traditions, la culture et les valeurs de la classe ouvrière elle-même, plutôt que celle qui est interprétée pour eux par des soi-disant “révolutionnaires professionnels” sans liens réels avec cette communauté particulière. Il s’agit d’un concept très important, et pourtant très basique, que la gauche Blanche doit prendre en compte lorsqu’elle travaille avec des travailleurs non-blancs (qui, soit dit en passant, constituent la véritable “avant-garde” aux États-Unis ; les travailleurs noirs en particulier. Vérifiez votre histoire, surtout les trente dernières années.) ; c’est-à-dire le contrôle direct de la communauté.

Cette demande est devenue plus centrale au cours des trente dernières années, alors que nous avons assisté à la création d’une élite noire composée de marionnettes libérales et conservatrices (négrosie) permettant à la structure de pouvoir Blanc de parler au peuple, aux quelques personnes qui ont été autorisées à réussir parce qu’elles ont adopté l’idéologie de l’oppresseur. Mais eux aussi sont devenus de plus en plus impuissants, car le glissement vers la droite dans les différentes branches du gouvernement fédéral et de l’État a rapidement et facilement “contrôlé” le peu de pouvoir politique qu’ils avaient. De même, nous n’avons pas de contrôle direct sur les institutions du quartier en tant que capitalistes, et encore moins en tant que travailleurs ; au moins, les travailleurs blancs ont un moyen de production qu’ils peuvent potentiellement saisir. Les petits restaurants et magasins familiaux ou les cliniques de santé et les services sociaux financés par le gouvernement fédéral dans les quartiers, ne comptent pas comme des entreprises “capitalistes noires”, et aucune de ces choses n’est particulièrement “libératrice” en soi.

Mais les radicaux blancs, la gauche Blanche des États-Unis en particulier, ont du mal à accepter la réalité que les Noir.e.s ont toujours réussi à survivre, malgré les pires ou les meilleures intentions de la population majoritaire. Nous continuerons à survivre sans vous et nous pouvons faire notre révolution sans vous (ou contre vous) si nécessaire ; ne nous parlez pas de “lutte prolongée”, la vie quotidienne des travailleur.euse.s non blanc.he.s témoigne de la véritable signification de la lutte prolongée, tant aux États-Unis que dans le monde. Votre incapacité ou votre refus d’accepter le fait que notre lutte est parallèle à la vôtre, mais en même temps très spécifique, et qu’elle se terminera avec succès lorsque nous, en tant que peuple, en tant que Noir.e.s de la classe ouvrière du continent nord-américain, déciderons que nous avons atteint la pleine liberté (telle que définie par notre histoire, notre culture, nos besoins, nos désirs, nos expériences personnelles et nos idées politiques) est de loin la principale raison pour laquelle la gauche Blanche est si faible dans ce pays.

De plus, le naufrage de la barge pleine d’ordures du gauchisme états-unien entraîne dans son sillage d’autres vaisseaux de politiques libératrices, en particulier les petites factions anti-autoritaires au sein de la nation des colons blancs elle-même et les quelques individus [non-dogmatiques et non-ritualistes] au sein des partis marxistes-léninistes actuels qui souhaitent sincèrement s’éloigner du vieux révisionnisme historique fatigué de leur spécifique parti “révolutionnaire”.

Cette apparente “position fixe”, ainsi que de nombreuses autres positions fixes dans leur “pensée”, contribuent à révéler le profond isolement et l’aliénation de la gauche Blanche vis-à-vis de la communauté noire dans son ensemble et de ses militants. Pourtant, nombre d’entre eux continueraient à affirmer de tout cœur, et de façon stupide, qu’ils font partie de la communauté simplement parce qu’ils vivent dans un quartier noir ou que le siège de leur parti s’y trouve.

L’isolement et l’aliénation de la gauche Blanche se sont révélés encore plus profondément dans les critiques de la Million Man March sur Washington. En fin de compte, la majorité des critiques de la gauche Blanche ont fini par suivre les éléments les plus arriérés du parti républicain ; certains sont allés jusqu’à reprendre les mêmes mots que le leader de la majorité au Sénat, Bob Dole, qui a déclaré le lendemain de la marche : “On ne peut pas séparer le message du messager”. D’autres ont repris les mots du leader de la majorité à la Chambre des représentants, Newt Gingrich, qui a eu le culot de demander “où est-ce que notre leadership a échoué ?”.

Depuis quand sommes-nous censés suivre le “leadership” de l’Amérikkke blanche, qu’il soit de droite, de gauche ou du centre, sans une certaine forme de coercition brutale ? Où est l’avantage pour nous de “suivre” n’importe lequel d’entre eux ? Qu’est-ce que l’un d’entre eux a fait pour nous dernièrement ? Où est le “meilleur” exemple de leadership de l’une ou l’autre des tendances politiques hiérarchiques (de toute classe ou idéologie) aux États-Unis et à qui profitent-elles exclusivement et explicitement ? Aucun d’entre vous ne s’intéressait particulièrement à nous avant que nous nous rebellions violemment en 1992, pourquoi cet intérêt soudain ? Qu’est-ce que vous voulez de nous cette fois-ci ?

Peu, voire aucun, des principaux journaux de gauche pro-révolutionnaire aux États-Unis n’ont donné un compte rendu exact de la marche. Beaucoup d’entre eux ont affirmé que seule la petite-bourgeoisie noire était présente. Tous ont prétendu que les femmes étaient “interdites” d’y être, malgré le fait largement rapporté que nos sœurs étaient là en grand nombre.

Les “MIM Notes” (et le Maoist Internationalist Movement lui-même) reconnaissent, et c’est tout à leur honneur, que les travailleurs blancs ne sont PAS la classe “d’avant-garde” : pourtant, parce qu’ils sont eux-mêmes si profondément aliénés de la communauté noire de ce côté-ci des murs de la prison, ils ont dû s’appuyer sur des informations tirées des comptes rendus de la presse grand public, courtoisie du Washington Post. Et ils sont aliénés à juste titre ; qui, dans son esprit, croit réellement qu’une petite secte “secrète” de radicaux blancs sur les campus peut (ou devrait) “mener” les masses de personnes non blanches vers leur/notre liberté ? Quoi que ces gens fument, je n’en veux pas ! Je dois dire, cependant, que le MIM est effectivement le moins accroché au dogme de tout le milieu de la gauche blanche que j’ai rencontré ; mais accroché au dogme néanmoins.

J’ai aidé à organiser la Million Man March dans la région de Seattle. Les femmes noires et fortes que j’ai rencontrées avaient la ferme intention d’y aller. Aucun homme n’a même envisagé de les en empêcher, et encore moins de leur suggérer de ne pas y aller. Bien sûr, la Nation Of Islam a transmis le message du ministre Farrakhan selon lequel il s’agissait d’une marche “réservée aux hommes”, mais cela a été à peine discuté et généralement ignoré.

Les comités d’organisation locaux (COL) de la Million Man March ont donné aux différentes factions de la gauche Noire un forum pour présenter des idées et des concepts à des pans entiers de notre population qui ne connaissaient pas le “marxisme”, “l’anarchisme”, “Kwame Nkrumah”, “George Jackson”, “le programme en dix points”, “la lutte des classes”, etc.

Cela nous a également donné l’occasion de commencer à engager les membres de la section locale de la Nation Of Islam dans une lutte de classe idéologique avec les membres de la communauté. Bien sûr, il était impossible pour la gauche Blanche de savoir tout cela ; une preuve supplémentaire de leur profond isolement et de leur aliénation. À l’époque, malgré nos différences idéologiques mineures, nous étions d’accord sur un point : ce n’était pas vos affaires ni celles du reste de la population blanche. Lorsque nous nous organisons entre nous, nous considérons que c’est une “affaire de famille”. Quand nous avons des conflits, c’est aussi une “affaire de famille”. Encore une fois, ce ne sont pas vos affaires, à moins que nous vous disions le contraire. Que diriez-vous si nous nous mêlions d’une discussion familiale animée que vous avez avec un proche et que nous commencions à vous dire quoi penser et quoi faire ?

Ceci m’amène à deux questions qui me préoccupent depuis janvier 1996. Les deux commentaires m’ont été faits par un membre des Radical Women lors de la conférence de l’International Socialist Organization à l’Université de Washington. La première déclaration était la suivante : “Je ne reconnais pas les Noirs comme une “nation” comme je le fais pour les Amérindiens.”

Ma première pensée a été “t’es qui pour porter un jugement sur une auto-définition générale qui est enracinée dans notre souffrance collective à travers l’histoire de ce pays ?”

Elle pourrait tout aussi bien rejoindre les révisionnistes de droite de l’Holocauste, car c’est précisément ce qu’elle pratique, la négation de l’holocauste des Noir.e.s de 1555 à nos jours (ainsi qu’une négation parallèle, par procuration, du génocide contre d’autres nations non blanches aux États-Unis). Notre nationalisme est apparu comme une défense contre [votre] racisme blanc. La différence entre les nationalistes noirs révolutionnaires (comme Huey P. Newton et le Black Panther Party) et les nationalistes culturels (comme Farrakhan et la Nation of Islam) est que nous considérons notre nationalisme comme un outil spécifique pour nous défendre contre des groupes et des individus comme cet ignorant, et non comme un moyen exclusif ou unique de libération.

Nous reconnaissons que nous devrons attaquer les éléments bourgeois parmi notre peuple tout aussi vigoureusement que nous luttons contre les suprémacistes blancs (“gauche”, “centre” ou “droite”). La différence est que notre bourgeoisie (ce que j’appelle la “négrosie”) n’est puissante qu’au sein de la communauté ; elle n’a aucun pouvoir contre la structure de pouvoir blanc sans nous, et elle n’a pas non plus de pouvoir en général sans la bénédiction de la structure de pouvoir blanc elle-même. Notre tâche consiste donc à les unir à nous contre un ennemi commun tout en sapant explicitement (et en éliminant éventuellement) leur influence intrinsèquement réactionnaire.

La deuxième stupidité qui lui a échappé concernait notre soutien aux entreprises appartenant à des Noirs. Je lui ai fait remarquer que si elle avait étudié son marxisme-léninisme, elle verrait que leur existence va de pair avec la théorie de Marx selon laquelle la révolution ne pourra avoir lieu que lorsque le capitalisme sera pleinement développé. Elle a répondu par la critique suivante : “Eh bien, vous attendrez longtemps avant que cela ne se produise”.

Une fois encore, si elle avait réellement étudié le marxisme-léninisme, elle saurait que Lénine et les bolcheviks ont également dû faire face à cette même question. L’économie de la Russie était principalement agricole, et sa classe bourgeoise était petite. Ils ont décidé de suivre l’humeur et les sentiments de la paysannerie et des ouvriers de l’industrie à ce moment précis de l’histoire : saisir les moyens de production et de distribution de toute façon !

Qui dit que nous ne ferions pas la même chose ? Les participants à la rébellion de Los Angeles (et d’autres), malgré leur manque de formation en “théorie politique radicale de gauche” (en plus d’être principalement des Noirs, des Latinos ou des white trash d’Amérikkke), ont fait la moitié du chemin ; ils ont saisi les moyens de distribution, distribué les produits de leur travail [collectif], puis brûlé les installations. Oui, les événements de 1992 ont posé de nombreux problèmes, mais ils ont montré notre potentiel de progrès futur.

Les autonomistes noirs rejettent en fin de compte l’avant-gardisme parce que, comme la gauche Blanche [ainsi que des éléments du mouvement révolutionnaire noir] l’a démontré, il érode et finalement détruit les liens fragiles qui maintiennent ensemble les partenariats de principe nécessaires entre les groupes et les individus qui sont nécessaires pour accomplir les nombreuses tâches associées à la lutte avec succès et à la construction d’un mouvement révolutionnaire fort, diversifié et viable.

La majorité de la gauche Blanche est largement détestée, méprisée et n’a pas la confiance de notre peuple parce qu’elle échoue lamentablement sur ce point. Comment pouvez-vous prétendre être un “socialiste” alors que vous êtes en fait antisocial ? Comment vous distinguez-vous tous de la majorité de votre peuple en termes concrets, pratiques et de principe ?

III. Zéro (0) soutien des factions de la gauche non-blanches par la gauche blanche.

J’ai toujours trouvé ça particulièrement inquiétant ; vous voulez tous notre aide, mais vous voulez pas nous aider. Vous voulez marcher côte à côte avec nous, contre le gouvernement et ses partisans, mais vous voulez pas que nous ayons une base politique ou matérielle solide pour non seulement gagner le combat contre l’État suprématiste blanc, mais aussi pour reconstruire nos communautés en notre nom et à notre image.

Laissons les marxistes blancs fournissent un soutien matériel inconditionnel aux factions non-blanches dont l’idéologie est parallèle à la leur, et que les factions anarchistes blanches fournissent un soutien matériel inconditionnel aux factions des communautés de couleur qui ont des idéologies et des objectifs parallèles. Évidemment, la seule “condition” qui ne pourra jamais être évitée est celle de la dure réalité économique ; si vous n’avez pas les fonds nécessaires, vous ne pouvez pas le faire. C’est juste et logique, mais si vous payez des sommes exorbitantes pour des projets et des événements qui ne sont guère plus que de la masturbation idéologique et du cultisme organisationnel alors que nous faisons un travail pratique de notre poche ou avec un budget minuscule entre nous, il me semble qu’une bonne dose de critique/autocritique et de réévaluation des priorités est de mise de la part des “révolutionnaires professionnels” de la gauche blanche.

Si les “avant-gardes” de la gauche Blanche ne sont pas disposées à soutenir matériellement le travail pratique des factions révolutionnaires non blanches, alors vous n’avez pas à vous montrer dans nos quartiers. Si vous, les “missionnaires marxistes”, insistez pour venir dans nos quartiers prêcher “l’évangile” de Marx, Lénine, Mao, etc, le moins que vous puissiez faire est de nous “payer” pour notre peine. Vous ne nous avez certainement pas offert grand-chose d’autre d’utile.

À leur crédit, les anarchistes blancs et les gauchistes anti-autoritaires ont, par comparaison, généralement soutenu la lutte des Noirs ; Black Autonomy et les projets connexes en particulier. En fait, en octobre 1994, dans un acte d’entraide et de solidarité, la branche de Philadelphie de l’Industrial Workers of the World (IWW) a imprimé gratuitement le tout premier numéro de Black Autonomy (1 000 exemplaires). Un de leurs membres s’est d’ailleurs un peu fâché lorsque je lui ai demandé combien nous leur devions pour l’impression. En retour (et conformément à nos intérêts de classe), nous nous sommes alliés à la branche de Philadelphie et à d’autres dans une lutte au sein de l’IWW contre les éléments les plus conservateurs de la “société historique/révolutionnaire de salon” au sein de son organe administratif national.

Lorenzo Kom’boa Ervin, ancien prisonnier politique, membre du SNCC, Black Panther et autonome (anarchiste) noir, reconnaît que le travail acharné des groupes anarchistes en Europe et des factions marxistes et anarchistes non avant-gardistes aux États-Unis l’a aidé à mener à bien sa campagne de libération anticipée après 13 ans d’incarcération.

En aucun cas on n’attend de vous ou de quiconque que vous nous financiez ; ce que je propose, c’est une suggestion à ceux d’entre vous qui veulent sincèrement aider ; et un défi à ceux qui cherchent en fait à “jouer à Dieu” avec nos vies tout en débitant des rhétoriques vides et sans signification sur la “liberté”, la “justice”, la “lutte des classes” et la “solidarité”. À ces personnes, je demande : Avez-vous des idées, ou les idées vous ont-elles ? En fait, une meilleure question pourrait être : pensez-vous tout court ?

IV. La pseudo-analyse bourgeoise de la race et de la classe.

Il n’est que logique que l’analyse de la race et de la classe par la gauche blanche en Amérikkke soit si erronée, alors que vous êtes si prompts à sauter sur l’occasion et à juger tout le monde à propos de ceci ou de cela, mais que vous avez une peur bleue d’une véritable autocritique aussi bien au niveau individuel ou collectif ; vous préférez utiliser l’autocritique comme un moyen de réaffirmer de vieilles idées fatiguées qui étaient à peine réfléchies au départ, ou d’esquiver toute autocritique réelle en accusant dogmatiquement vos critiques de “reductio ad Stalinum”. Il est clair que c’est vous qui vous êtes fallacieux avec vous-mêmes ; comme le dit le vieil adage, “Ceux qui vivent dans des maisons de verre ne devraient pas jeter de pierres !”. L’action en dit plus que la connerie !

Certaines des sections les plus arriérées de la gauche Blanche continuent de brandir la vieille rengaine “gay, hétéro, noir, blanc, même combat, même lutte !”. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité. Bien sûr, nous sommes tous confrontés au même “ennemi principal” : l’État raciste, autoritaire et ses partisans ; mais contrairement aux hommes blancs (hétérosexuels ou homosexuels) et avec quelques parallèles mineurs avec les expériences des femmes blanches, notre oppression commence à la naissance. C’est un point commun que nous partageons avec les autochtones, les hispaniques, les insulaires du Pacifique et les asiatiques.

En grandissant, nous passons du statut de “mignon” aux yeux de la société au statut de “dangereux” à l’adolescence. Comme ce point est mis en évidence jour après jour dans divers contextes sociaux et circonstances, certains d’entre nous décident, par frustration, de donner aux Blanc.he.s ce qu’ils veulent croire ; nous devenons des prédateurs. Cette dynamique se joue dans les ghettos, les barrios, les quartiers chinois et les réserves à travers le pays. Même ceux d’entre nous qui choisissent de ne pas s’engager dans une activité criminelle, ou qui n’y sont pas forcés, doivent vivre avec ce stigmate. En outre, en tant qu’individus, nous sommes toujours considérés comme des “objets” et notre communauté comme un “monolithe”.

Nous entrons ensuite sur le marché du travail… du moins, s’il y a des emplois disponibles. C’est là que nous apprenons que les nôtres et les autres non-Blanc.he.s sont “dernier.e.s embauché.e.s, premier.e.s licencié.e.s”, que nos collègues blanc.he.s ont généralement peur de nous, ou nous considèrent comme une “concurrence”, et que la direction nous surveille encore plus étroitement que les autres travailleurs, tout en alimentant les petites querelles et la concurrence entre nous et les autres travailleurs non-blancs. Ceux d’entre nous qui ont la chance de décrocher un emploi syndiqué découvrent rapidement que les syndicats sont indulgents à l’égard du racisme sur le lieu de travail. Cela n’a de sens que si l’on apprend par la suite que les syndicats amérikkkains sont des chiens de garde du capitalisme et des apologistes du patronat, malgré leur rhétorique “militante”.

La plupart des travailleurs syndiqués sont blancs, ce qui reflète la majorité des travailleurs syndiqués aux États-Unis, qui ne représentent que 13 % de la main-d’œuvre totale. C’est pourquoi il est stupide pour la gauche Blanche de jacasser sur le “mouvement” syndical et sur le fait que tant de nos concitoyens adhèrent à des syndicats. Ce n’est pas une consolation pour nous lorsque le taux de chômage des Noir.e.s atteint 35 % au niveau national ; beaucoup de ces frères et sœurs vivent dans des endroits où le “chômage permanent” est la règle plutôt que l’exception, et beaucoup d’autres trouvent du travail dans des emplois non syndiqués dans le secteur des services. Un Noir sur trois est pris dans le système de “justice” pénale amérikkkaine : en prison, en liberté conditionnelle, en placement à l’extérieur, en attente de jugement, etc.

En outre, de nombreux travailleur.euse.s blanc.he.s soutiennent les politiciens républicains racistes, comme le candidat à la présidence Pat Buchanan, qui promet de protéger leurs emplois aux dépens des travailleurs non blancs et des immigrants. Que fait la gauche Blanche ou le mouvement syndical face à tout cela ?

Il ne devrait pas être surprenant que la gauche blanche prêche toujours un point de vue largement économiciste lorsqu’il s’agit des travailleur.euse.s en général, et des travailleur.euse.s de couleur en particulier. Ce point de vue est une preuve supplémentaire non seulement de votre propre déviation de Marx, mais aussi de Lénine, selon vos propres définitions variées (mais similaires).

Lénine a compris pourquoi la majorité des révolutionnaires russes de son époque mettaient en avant une position économiciste : “[E]n Russie, le joug de l’autocratie efface, au premier abord, toute distinction entre l’organisation social-démocrate et l’association ouvrière, car toutes les associations ouvrières et tous les cercles sont interdits, et la grève, manifestation et arme principales de la lutte économique des ouvriers, est considérée comme un crime de droit commun (parfois même comme un délit politique !).”

Dans ce pays, la distinction entre les syndicats et les organisations révolutionnaires est on ne peut plus claire (même si certains groupes comme le Socialist Workers Party (SWP) ne font toujours pas la distinction eux-mêmes) et la contradiction principale au sein de la classe ouvrière est celle de la stratification raciale comme arme de classe de la bourgeoisie et des capitalistes contre la classe ouvrière dans son ensemble.

Pourtant, la gauche Blanche (ainsi que le reste de la classe ouvrière blanche) ne voit pas son rôle de collaboration dans ce processus. Et cela nous ramène à ce que j’ai dit plus tôt dans cet article sur la nécessité d’une critique historique et culturelle sérieuse parmi tous.tes les Blanc.he.s (et pas seulement parmi les factions de gauche de la nation colonisatrice) qui va au-delà des appropriations culturelles superficielles ou des proclamations nobles et dogmatiques sur l’engagement de votre parti en faveur de “l’égalité raciale”. Se considérer comme “Blanc.he” ou s’appeler “Blanc.he” est un argument en faveur de l’oppression de race et de classe ; regardez l’histoire des États-Unis et voyez qui a été le premier à ériger ces termes “blanc” et “noir”, et pourquoi ils ont été créés en premier lieu.

Je me souviens que l’été dernier, aux alentours du 4 juillet [NdT: fête nationale aux EU], un membre du SWP local a essayé de me dire que la guerre d’indépendance américaine était “progressiste”. Progressiste pour qui ? Dites-nous la vérité, qui étaient les principaux bénéficiaires de la Révolution américaine ? Vous connaissez la réponse, nous la connaissons tous ; seul un réactionnaire total et impénitent mentirait au peuple, surtout sur ce point.

Howard Zinn, dans son ouvrage “Une histoire populaire des États-Unis”, souligne que l’historien du début du XXe siècle Charles Beard a découvert que sur les cinquante-cinq hommes qui se sont réunis à Philadelphie en 1787 pour rédiger la Constitution américaine, “la majorité d’entre eux étaient des professionnels du droit ; que la plupart étaient propriétaires terriens, possédaient des esclaves, des manufactures, des compagnies maritimes ; que 50 % d’entre eux plaçaient de l’argent rapportant des intérêts et que quarante de ces cinquante-cinq hommes, si l’on en croit du moins les archives du département au Trésor, possédaient des titres gouvernementaux”. Ainsi, Beard a découvert que la plupart des rédacteurs de la Constitution avaient un intérêt économique direct dans l’établissement d’un gouvernement fédéral fort : les fabricants avaient besoin de tarifs protecteurs ; les prêteurs voulaient mettre fin à l’utilisation de papier-monnaie pour rembourser les dettes ; les spéculateurs fonciers souhaitaient être protégés lorsqu’ils envahissaient les terres indiennes ; les propriétaires d’esclaves avaient besoin d’une sécurité fédérale contre les révoltes et les fugues d’esclaves ; les détenteurs d’obligations réclamaient un gouvernement capable de lever des fonds par le biais d’une taxation nationale, afin de rembourser ces obligations.

Comme le souligne Beard, quatre groupes, en tout cas, n’étaient pas représentés au sein de la convention rédactrice de la Constitution : les esclaves, les serviteurs sous contrat, les femmes et les individus ne possédant strictement rien. C’est pourquoi la Constitution américaine ne reflète nulle part les aspirations de ces groupes. (Zinn, p. 219)

Acceptez le privilège de votre peau blanche (ainsi que l’idéologie et l’attitude que ce privilège engendre) et trouvez ensuite comment combattre cette dynamique dans le cadre de votre lutte contre l’État et ses partisans. Votre retard continu est un triste commentaire lorsque nous découvrons des preuves historiques qui montrent que, même avant le début du siècle, certains de vos propres ancêtres de la classe ouvrière blanche commençaient à faire les premiers pas vers une meilleure compréhension de leur rôle social en tant que serviteurs blancs du capital. Un cordonnier blanc a écrit en 1848 :

Nous ne sommes que l’armée permanente qui maintient trois millions de nos frères dans les chaînes. [ . . . ] Vivant à l’ombre du monument de Bunker Hill, nous réclamons nos droits au nom du genre humain tout en les déniant à d’autres à cause de la couleur de leur peau ! Doit-on alors s’étonner que Dieu, dans sa juste colère, nous punisse en nous forçant à boire la coupe amère de la dégradation ? (Zinn, p.539)

Nous pouvons même nous tourner vers les preuves historiques de l’époque de Lénine. Avant la publication de “L’Impérialisme” de Lénine, W.E.B. DuBois a écrit un article pour l’édition de mai 1915 de l’Atlantic Monthly intitulé “Les origines africaines de la guerre”, dans lequel il décrit de manière frappante comment les Blancs, riches et pauvres, bénéficient de la super-exploitation des non-Blancs :

Oui, l’Anglais, le Français, l’Allemand ou l’Américain moyen avait un niveau de vie plus élevé qu’auparavant. Mais “d’où [provenait] donc cette nouvelle richesse ? Essentiellement des nations les plus noires du globe — l’Asie, l’Afrique, les Amériques centrale et du Sud, les Antilles et les îles des mers du Sud. Désormais ce n’est plus seulement le prince marchand, le monopole aristocratique ou même la classe dirigeante qui exploite le globe. C’est la nation tout entière, une nouvelle nation démocratique fondée sur l’union du capital et du travail.” (Zinn, p. 857–858)

Pourtant, les soi-disant.e.s “antiracistes” de gauche poursuivent leur fixation infantile sur le Klan, les nazis et les milices d’extrême droite. Des groupes qu’iels disent combattre, mais pour lesquels iels font preuve de tolérance dans la pratique. Rester debout à scander des slogans vides de sens devant une ligne de police séparant les manifestants des nazis dans une “manifestation pacifique” est la contradiction dans sa forme la plus pure ; la police et les fascistes doivent être impitoyablement détruits ! Comme l’anarchiste espagnol Buenaventura Durruti l’a proclamé en 1936, “Le fascisme ne doit pas être débattu, il doit être écrasé !”. Il n’y a pas de place pour le compromis ou le dialogue, sauf pour leur demander une demande de dernier repas et le choix de la méthode d’exécution avant de prononcer la sentence ; et même cela est arbitraire !

C’est vrai que les considérations tactiques doivent être examinées, mais si nous ne pouvons pas les atteindre à ce moment précis, il n’y a pas de “règle” qui nous empêche de les suivre et de les attaquer au moment où ils s’y attendent le moins, à l’exception de la “règle” des prétendus dirigeants de “l’avant-garde” de la gauche Blanche marxiste-léniniste qui ne voient dans les fascistes qu’une concurrence dans leur lutte pour savoir quel groupe de “bâtisseurs d’empire” nous dominera ; les “bon.ne.s” Blanc.he.s qui nous assignent à la plantation de gauche amérikkkaine du “glorieux État ouvrier”, ou les “mauvais.es” Blanc.he.s qui nous font travailler comme des esclaves jusqu’à ce que nous soyons à moitié morts et qui rient ensuite lorsque nos carcasses usées sont jetées dans des fours, découpées à des “fins scientifiques”, ou pendues à des lampadaires et à des arbres. Vous devez encore me montrer la ou les différences qualitatives entre une dictature suprématiste blanche de type Klan/Nazi et votre concept de “dictature du prolétariat” dans le contexte de ce pays particulier et de son histoire tristement célèbre. Jusqu’à présent, tout ce que j’ai vu de vous tous, c’est de l’arrogance dans les coalitions, des jeux mesquins de surenchère politique et une rigidité idéologique/tactique.

Imaginons un instant que l’une de ces avant-gardes en herbe prenne effectivement le pouvoir politique. Dans chacun de vos programmes, du programme du PCR-USA, à des groupes encore plus petits et moins connus, il y a généralement une ligne quelque part à propos de votre parti particulier qui détient les leviers clés du pouvoir de l’État dans une “dictature du prolétariat”. L’un d’entre vous a-t-il vraiment réfléchi à ce que cela signifie pour une communauté sans vrai pouvoir ? Cela signifie-t-il que nous, les Noirs, allons devoir nous battre et mourir une seconde fois sous votre dictature afin d’avoir un accès égal à l’emploi, au logement, aux écoles, aux collèges, aux fonctions publiques, au statut de parti, à notre propre vie personnelle en général ?

Regardez notre histoire ; plus de cent ans après la proclamation d’émancipation (les années 1960), nous mourions encore pour le droit de vote, pour le droit de protester pacifiquement, pour le droit de vivre en paix et dans la prospérité dans le contexte de la domination blanche et du capitalisme. Aujourd’hui, après tout cela, il est clair que les masses de notre peuple sont toujours largement impuissantes ; nous sommes restés impuissants alors même que les écoles publiques étaient déségréguées et que davantage de nos élites étaient élues au Congrès et à d’autres postes. Le même État raciste et autoritaire qui nous a dépouillés de notre humanité s’affirme maintenant comme la première ligne de défense de ces concessions durement gagnées, sous la forme de troupes fédérales et d’”observateurs” du FBI (qui nous regardent nous faire battre, violer et/ou tuer) envoyés pour faire appliquer le Civil Rights Act de 1968 et le Voting Rights Act de 1965.

Comme nous l’avons vu depuis lors, ce que la structure de pouvoir Blanc accorde, elle peut (et veut) l’enlever ; nous pouvons citer les récentes décisions de la Cour suprême des États-Unis concernant le redécoupage électoral comme preuve. Nous pouvons également nous pencher sur le problème de la censure du courrier et des publications dans le système carcéral amérikkkain (au niveau des états et fédéral), qui revient nous hanter depuis l’emblématique contestation juridique de l’application du premier amendement, lancé dans les années 1960 contre l’État de New York et remporté par le prisonnier politique et anarchiste noir/portoricain Martin Sostre. Et puis il y a les attaques de la Chambre et du Sénat contre le droit des prisonniers à poursuivre un fonctionnaire, un employé ou une institution pénitentiaire. Donnez-nous une seule bonne raison de croire que vous serez différents de ces dirigeants et institutions politiques “bienveillantes” passées et actuelles si, par hasard ou par miracle, vous accédez au pouvoir de l’État ?

Aucune “garantie” contre la contre-révolution ou le révisionnisme au sein de votre parti/gouvernement “révolutionnaire”, dites-vous ? Il y en a deux : les armes, les munitions, l’organisation, la solidarité, la conscience politique et la vigilance continue des masses de personnes non-blanches et des quelques anti-autoritaires conscients et vraiment solidaires parmi votre population ; ou une révolution populaire réussie qui est enracinée dans des idées politiques anti-autoritaires qui sont culturellement pertinentes pour chaque ethnie de la population pauvre et de la classe ouvrière aux États-Unis. À en juger par les attitudes générales et les théories exprimées par vos membres et vos dirigeants, nous pouvons être assurés qu’il est pratiquement garanti que l’esprit de “Jim Crow” peut et va s’épanouir dans une “dictature prolétarienne” marxiste-léniniste dirigée par des Blanc.he.s aux États-Unis. Je comprends mieux pourquoi vous vous acharnez sur les révolutions de la Chine, de la Russie, du Vietnam, de Cuba, etc. ; elles constituent une protection (lire : évasion) commode pour vous tous pour éviter un examen sérieux des défauts de votre analyse actuelle ainsi que de l’analyse historique des trente dernières années de lutte aux États-Unis.

Ce sont les seules conclusions que l’on peut tirer lorsque vous êtes toustes si manifestement hostiles à l’idée de faire le dur travail de confrontation avec vos propres tendances racistes et réactionnaires. Lorsque vos propres collègues militant.e.s blanc.he.s ont tenté d’organiser un “atelier antiraciste” pour les membres du Comité de défense de Mumia à Seattle, beaucoup d’entre vous ont promis leur soutien (sous la forme des habituelles proclamations rhétoriques dogmatiques, vagues et sans doute sans fondement de “solidarité” et “d’engagement en faveur de l’égalité raciale”), puis se sont abstenus. Seuls les deux organisateurs initiaux au sein du SMDC et deux membres de la coalition (ni affiliés à un quelconque parti politique) étaient présents. Ne vous méprenez pas, je ne me fais pas d’illusions sur le fait que les Blanc.he.s doivent affronter leur propre racisme, mais je soutiens leurs tentatives honnêtes de le faire. Nous sommes ici dans une situation où un saut idéologique aurait pu être amorcé au sein de la gauche blanche de Seattle ; pourtant, les “avant-gardes révolutionnaires” de la gauche Blanche, qui savent tout et voient tout, étaient trop occupées à passer ce week-end se gratter le nombril pour trouver de quoi faire une bonne action pendant leur Carême. Est-ce qu’on doit garder ça les potentielles pénuries de nourriture qui se produiront pendant et peu après la révolution [corrompue par la mauvaise direction de votre parti rigide, dogmatique et autoritaire] ?

V. L’essentiel, c’est ça : L’autodétermination !

Pour la plupart des gauchistes Blanc.he.s, cela signifie que nous, les Noir.e.s, réclamons notre propre État-nation séparé. Certaines de nos factions révolutionnaires défendent une telle position. Les autonomistes noir.e.s, cependant, rejettent l’État-nation [pour plus d’informations à ce sujet, reportez-vous à la page 15 de n’importe quel exemplaire du journal Black Autonomy].

Que les masses noires optent ou non pour une patrie séparée sur ce continent ou en Afrique, nous serons respectés en tant que sujets de l’histoire et non en tant qu’objets dont l’État, ses partisans ou la gauche Blanche décident du sort.

La réponse à la “question noire” est simple : Ce n’est pas une question ; nous sommes des personnes, vous nous traiterez comme tels ou nous vous combattrons, vous et le reste de la nation des colons Blancs… par tous les moyens nécessaires ! Nous ne serons plus jamais intimidé.e.s ou dominé.e.s par qui que ce soit !

Trop de fois au cours de l’histoire amérikkkaine (et mondiale), notre peuple a combattu et est mort pour le rêve de la vraie liberté, pour qu’il se transforme en un cauchemar d’oppression continue. Si le résultat final d’une révolution de la classe ouvrière aux États-Unis est la domination continue des personnes non-blanches par des “leaders révolutionnaires” Blancs et un gouvernement de gauche [suprémaciste blanc], alors nous ferons une autre révolution jusqu’à ce que tous les auteurs et partisans de ce type de relation socio-politique soient vaincus ou morts ! Tous les moyens sont entièrement justifiables pour empêcher la défaite de notre révolution et la réintroduction de la suprématie blanche. Nous ne tolérerons pas plus de 400 ans d’oppression, et je suis sûr que nos frères et sœurs indigènes et hispaniques ne toléreront pas plus de 500 ans de la même merde.

En fin de compte, “mieux vaut prévenir que guérir” ; c’est la principale raison pour laquelle j’ai décidé de publier ce texte, comme une autre humble contribution à l’auto-éducation de notre peuple. La deuxième raison est d’inspirer, je l’espère, la gauche Blanche à réexaminer ses pratiques et ses croyances actuelles dans le cadre de son processus d’auto-éducation ; en supposant que vous pratiquiez tous l’auto-éducation.

Rejeter les traditions de vos ancêtres et apprendre de leurs erreurs ; ou rejeter vos allié.e.s potentiel.le.s dans les communautés de couleur. Le choix vous appartient…

C’est un commentaire sur la nature fondamentalement raciste de cette société que le concept de force collective pour les Noirs doive être articulé, pour ne pas dire défendu. Aucun autre groupe ne se soumettrait à être dirigé par d’autres. Les Italiens ne dirigent pas la Ligue anti-diffamation du B’nai B’rith. Les Irlandais ne président pas les sociétés Christophe Colomb. Pourtant, lorsque les Noirs réclament des organisations dirigées par des Noirs et entièrement noires, ils sont immédiatement classés dans une catégorie avec le Ku Klux Klan.

— Kwame Toure (Stokely Carmichael), Black Power; Vintage Press, 1965.

Pour en savoir plus

Black Autonomy, A Newspaper of Anarchism and Black Revolution, Vol. #1, issues #1-#5; Vol. #2, issues #1-#3. 1994–1996.

Bookchin, Murray, Au-delà de la rareté — L’anarchisme dans une société d’abondance, Écosociété, 2016.

Ervin, Lorenzo Kom’boa, Anarchism and the Black Revolution, Monkeywrench Press, 1994

Jackson, Greg, Mythology of A White-Led ‘Vanguard’: A Critical Look at the Revolutionary Communist Party, USA, Black Autonomy staff, 1996.

Mohammed, Kimathi, Organization and Spontaneity: The Theory of the Vanguard Party and its Application to the Black Movement in the US Today, Marcus Garvey Institute, 1974.

Sakai, J., Settlers: Mythology of the White Proletariat

Zhenhua, Zhai, Red Flower of China, Soho Press, 1992.

Zinn, Howard, Une histoire populaire des États-Unis, Agone, 2002.

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Anti-authoritarian thoughts and post-identity politics. Original texts, translations and archives in French, English and Spanish. @riots_blog

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