Par delà le nationalisme, mais pas sans lui — Ashanti Alston

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9 min readApr 6, 2021

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Cette traduction est tirée de la version du texte d’Alston publiée sur le site Colours of Resistance.

Ashanti Alston donnant une conférence

Ce qui me motive plus que tout à propos de l’anarchisme et sa pertinence pour la révolution Noire, c’est qu’il m’a offert des puissants éclaircissement sur les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été capables de nous remettre de notre défaite (la révolution des années 60) et d’avancer vers les types d’unités, d’organisations et d’activités qui constituent des mouvements révolutionnaires invincibles. — Anarchist Panther, Vol. 1 #1

…on nous a appris soit à ignorer nos différences, soit à les considérer comme des causes de séparation et de suspicion plutôt que comme des forces de changement. Sans communauté, il n’y a pas de libération, seulement l’armistice le plus vulnérable et temporaire entre un individu et son oppression. Mais la communauté ne doit pas signifier l’effacement de nos différences, ni la prétention pathétique que ces différences n’existent pas. — Audre Lorde

Cette superbe citation d’Audre Lorde est tirée d’Arsenal #4 ¹ (p. 4) et introduit leur discussion sur le même thème. En tant qu’anarchiste noir FATIGUÉ de voir les anarchistes blanc.he.s rejeter le nationalisme, j’apprécie vraiment qu’Arsenal et ONWARD ², deux des plus récents journaux/magazines de la scène, s’attaquent à ce problème.

Il y a toutes sortes de nationalismes et il y a toutes sortes de réactions au nationalisme. Personnellement, j’ai évolué et grandi au sein de certains nationalismes noirs spécifiques à la communauté noire [américaine].

Le nationalisme noir m’a sauvé la vie, d’une certaine façon, lorsque j’étais adolescent dans les années 1960. Il a “ébranlé” mon acceptation inconsciente de l’amérikkkanisme qui traquait mon peuple et m’a aidé à avoir une vue d’ensemble. Je suis un enfant des années 60. Il y avait Malcolm, il y avait H. Rap Brown et Stokeley Carmichael du mouvement Black Power, et puis il y avait le Black Panther Party. Tou.te.s étaient des nationalistes, tou.te.s représentent une évolution du nationalisme au sein de la communauté noire. En raison de la dynamique totalement raciste et génocidaire au sein de cet Empire babylonien, lae nationaliste noir.e a compris que nous devons avant tout nous tourner vers nous-mêmes pour nous libérer. Et aucun de ces penseur.euse.s n’a jamais jugé nécessaire de “prendre des nouvelles” avec l’Homme Blanc — du dirigeant au révolutionnaire — pour voir si tout se passait bien. Il s’agissait de notre survie en tant que peuple, et non de cette mythique “classe ouvrière” ou de ce tout aussi mythique “citoyen”. Pour moi, en tant qu’adolescent qui venait d’assister aux rébellions des années 60 dans ma propre ville natale profondément raciste, le nationalisme était une bouée de sauvetage : “NOUS DEVONS NOUS AIMER NOUS-MÊMES”. “LE NOIR EST BEAU”. “NOUS DEVONS CONTRÔLER NOS PROPRES COMMUNAUTÉS.”

Kwame Ture (Stokeley Carmichael) au podium devant un large public, une banderole Black Power derrière lui.
Stokeley Carmichael alias Kwame Ture s’exprimant au théâtre grec de l’université de Californie, à Berkeley, le 29 octobre 1966, devant 14 000 personnes.

En tant qu’anarchiste à la recherche de bons matos anarchistes des années 60 à brandir pour donner “la preuve” que les anarchistes étaient meilleurs sur la position du nationalisme que les marxistes et les léninistes, je n’ai presque rien trouvé ! J’ai trouvé quelques trucs positifs dans une publication “libertaire” [libertarian], mais, à ma grande surprise, elle représentait la tendance “anarcho-capitaliste” ! Pourtant, je les ai trouvés très pertinents et cohérents sur le RESPECT du nationalisme et de la libération nationale. (Le Forum Libertarien [Libertarian Forum] de la fin des années 60 et du début des années 70, Karl Hess, Joseph Peden, et Murray N. Rothbard). Ils avaient au moins compris que la lutte nationaliste des Noirs était une lutte contre l’État, l’État babylonien. Ils se sont également penchés sur ce que les groupes nationalistes faisaient dans leurs pratiques réelles de leur base militantes, comme créer des défenses concrètes contre la répression et des alternatives dans des institutions de survie. Ainsi, ils ont aimé ce que les Black Panthers faisaient sur le terrain à travers leurs programmes et ont soutenu ce type de nationalisme comme étant compatible avec “l’anarchisme sur le terrain.” Paul Goodman a fait des observations similaires sur les premiers groupes du mouvement des droits civiques. Mais il était entendu que ces groupes traitaient de questions de survie contre le génocide, et que ces groupes développaient leurs propres analyses et programmes pour mobiliser leurs communautés. Il est intéressant de noter que les libertariens du FL ont critiqué les Panthers lorsque le Parti s’est tourné vers le marxisme et d’autres idéologies autoritaires, car dans leur pratique “sur le terrain”, les programmes de survie n’étaient plus des réponses spontanées à des oppressions spécifiques, mais étaient de plus en plus maintenus sous le contrôle étroit du Parti. Le pouvoir au peuple — ou le pouvoir au Parti ?

Bill Whitfield, membre de la branche des Black Panthers à Kansas City, servant un petit-déjeuner gratuit aux enfants avant qu’iels aillent à l’école. (Crédit : William P. Straeter/AP Photo)

Le nationalisme et l’étatisme sont différents car le nationalisme peut être anti-étatique. Mais ils peuvent avoir des points communs dans la mesure où le nationalisme peut être uniquement contre un type particulier d’État, comme un État raciste ou un État fasciste. L’anarchisme et le nationalisme se ressemblent en ce qu’ils sont tous deux anti-étatiques, mais qu’est-ce que cela signifie lorsque les mouvements anarchistes spécifiques d’un pays donné sont racistes et méprisent tout nationalisme, qu’il soit réactionnaire ou révolutionnaire ? Pour moi, même le nationalisme d’un Louis Farrakhan vise à sauver mon peuple, bien qu’il soit aussi profondément sexiste, capitaliste, homophobe et potentiellement fasciste. Pourtant, il a joué un rôle important dans le maintien d’une certaine fierté et résistance noire. Leur travail “sur le terrain” est très important pour maintenir une mentalité antiraciste. En tant qu’anarchiste noir, c’est MON problème à gérer parce que ce sont MES GENS. Mais cela montre où l’anarchisme et le nationalisme ont des différences : la plupart des anarchistes aux États-Unis n’ont AUCUNE compréhension de ce que cela signifie d’être NOIR.E dans cette société de merde. Nous n’avons pas le luxe d’être aussi intellectuel.le.s à propos de cette botte atroce sur notre cou collectif, ce Passage du milieu d’aujourd’hui dans le complexe carcéro-industriel et les autres formes de néo-esclavage.

En tant qu’anarchiste postmoderne, les politiques d’identités sont importantes pour moi. Chaque fois que j’entends quelqu’un parler de mon peuple comme si nous n’étions qu’une “classe ouvrière” ou un “prolétariat”, je veux m’éloigner le plus possible de cette personne ou de ce groupe, qu’il soit anarchiste, marxiste ou autre. En tant qu’anarchiste postmoderne, je trouve aussi que l’expérience de mon peuple est le fondement à partir duquel nous trouverons notre chemin vers la libération et le pouvoir. C’est ce que je tire de “l’insurrection des savoirs assujettis”. Mon nationalisme m’a donné ce genre de fierté parce qu’il était un type de rejet de la pensée blanche ou du moins un décentrement de la primauté de la pensée blanche, capitaliste, socialiste, peu importe. Les gens qui ne font pas partie de notre expérience doivent respecter le fait qu’ils n’ont pas le monopole de la pensée et certainement pas celui de la pratique révolutionnaire. C’est facile de se détendre et d’intellectualiser à propos de notre nationalisme à partir du cadre moderniste, eurocentré des modèles rationnels, scientifiques et matérialistes. Pendant ce temps, c’est notre nationalisme qui incite constamment notre peuple à se rassembler, à se souvenir de son histoire, à s’aimer, à rêver et à se battre. Les anarchistes noir.e.s et les révolutionnaires anti-autoritaires comprennent les limites du nationalisme en termes de son sexisme historique, de la hiérarchie, ou de ses pièges modernistes en général. Mais on reconnaît aussi les pièges modernistes de l’anarchisme sous la forme américaine du privilège raciste/de classe lorsqu’il s’agit de personnes de couleur.

Couverture du livre de Lorenzo Kom’boa Ervin, The Progressive Plantation: Racism Inside White Radical Social Change Groups [La plantation progressiste: le racisme au sein des groupes blancs radicaux pour le changement social].

Les efforts de Lorenzo Kom’boa Ervin, Greg Jackson et d’autres pour construire une organisation/fédération de partisan.ne.s/organisateur.rice.s de la communauté noire sont un exemple de l’union du nationalisme révolutionnaire noir et de l’anarchisme. L’organisation et la publication Black Fist, même si elle est généralement appelée une organisation anti-autoritaire de personnes de couleur ou du tiers-monde, a compris la nécessité de s’ancrer dans les expériences des communautés noires et de couleurs [black and brown communities]. Ainsi, les expériences des Panthers, des Brown Berets ³ et d’autres groupes similaires étaient essentielles. La question semble être de savoir si les anarchistes et anti-autoritaires blanc.he.s peuvent travailler avec de tels groupes. Même si ces deux groupes n’existent plus, leurs expériences sont importantes.

Les Blanc.he.s doivent apprendre à être des ALLIÉ.E.S ANTIRACISTES des communautés et des militant.e.s de couleur. Des militant.e.s en particulier, car nous sommes généralement le point d’entrée des Blanc.he.s dans toute relation possible avec nos communautés. La théorie et la pratique anarchiste ne peuvent pas prendre la forme d’une simple adhésion aux pères fondateurs et aux pratiques canoniques, comme Kropotkine, Bakounine et la guerre civile espagnole. Je suis fatigué d’entendre ça ! L’anarchisme ICI à Babylone doit refléter nos problèmes uniques et nos possibilités de lutte. Nos luttes ne sont pas seulement contre le capitalisme. Ce serait trop simple. Nos luttes ne sont pas seulement contre le racisme. C’est aussi trop simple. Il y a toutes sortes de “ismes” négatifs contre lesquels nous nous battons et, tout aussi important, toutes sortes de mondes pour lesquels nous nous battons. C’est pourquoi l’idée et la pratique de “convergences” et d’“assemblées par consensus” [spokescouncils] sont si importantes pour les militant.e.s en général, qu’iels doivent en tirer des leçons et les améliorer, car elles permettent à toutes les “voix” d’être entendues et prises en compte dans la prise de décision, de sorte que les activités qui en découlent préfigurent le genre de nouveaux mondes que nous voulons vraiment.

Je termine en conseillant : ANARCHISTES BLANC.HE.S : OCCUPEZ VOUS D’ÊTRE LES MEILLEUR.E.S ALLIÉ.E.S ANTIRACISTES QUE VOUS POUVEZ. NOUS AVONS BESOIN DE VOUS — ET VOUS AVEZ BESOIN DE NOUS — MAIS NOUS FERONS CETTE MERDE SANS VOUS.

A mes camarades de couleur : VENEZ IMAGINER [come envision]: imaginez un monde de mondes à l’intérieur de notre monde [a world of worlds within our world] où il y a une coexistence de principe dans la merveilleuse diversité de la communauté noire.

Harlems / Harlems espagnols / Watts / communautés hip-hop / villages de la côte de Caroline / communautés universitaires / communautés gay-lesbiennes-bisexuelles-transgenres / nation zouloue / new afrikan / communautés religieuses qui se réunissent principalement le samedi ou le dimanche / communautés de squatters / communautés hors-la-loi / communautés kémétiques / quartiers igbo-ghanéen-sierraléonais-éthiopien-rasta / tribus poète-artiste nomades / et puis celleux d’entre nous qui sont simplement ignorant.e.s et inoffensif.ve.s et fou.lle.s quand on doit l’être et qui aiment s’amuser et voyager à travers et entre les communautés et parfois juste créer de nouvelles communautés mixtes … ET SI ? … et COMMENT ?

Une voiture passe au milieu de nombreux manifestant.e.s avec une pancarte sur laquelle est écrit: “the New Negro has no fear”.
Parade de l’Universal Negro Improvement Association (UNIA) à Harlem dans les années 20 pendant la Renaissance de Harlem.

Ella Baker a dit qu’on pouvait le faire si on se fait confiance et si on s’éloigne de la révolution menée par des dirigeants ; Kwesi Balagoon a dit qu’on pouvait le faire si on est prêts à créer un chaos qui niquera cet enfoiré [shut this mutha down]; Audre Lorde a dit qu’on pouvait le faire si on APPREND À AIMER ET À RESPECTER NOTRE BELLE DIVERSITÉ et à rejeter les outils de nos oppresseur.euse.s ; Harriet Tubman a dit qu’y a pas de meilleure façon de vivre qu’EN ÉTANT EN GUERRE POUR UNE CAUSE JUSTE ; et Franz Fanon a dit que si on cogne cet enfoiré [mutha] dans la face, si on chasse ce flic de notre territoire à la pointe d’un fusil, C’EST LIBÉRATEUR POUR L’ÂME.

Grâce à l’imagination, tout est possible.

Ashanti Alston est un ancien membre du Black Panther Party, ancien prisonnier de guerre/Black Liberation Army, actuellement : membre du conseil d’administration de l’Institute for Anarchist Studies, de Critical Resistance/New York City, d’Estación Libre (groupe de personnes de couleur en soutien aux zapatistes) et de l’Anarchist/Anti-Authoritarian People of color Study Group.

Notes:

  1. Arsenal était un magazine anarchiste publié au début des années 2000. Il était sous-titré “A Magazine of Anarchist Strategy and Culture”. On peut lire le numéro 1 sur Issuu.
  2. ONWARD était un journal anarchiste publié à Gainesville, en Floride, entre l’été 2000 et l’hiver 2002/03. Au cours de cette période, douze numéros ont été produits, couvrant les nouvelles, l’opinion, la théorie et la stratégie pertinentes pour les mouvements sociaux anarchistes et de gauche en Amérique du Nord et au-delà. Ce site est une archive du journal.
  3. Les Brown Berets ou Boinas Cafés, c’est-à-dire les Bérets Marrons, était une organisation de libération Chicano de la fin des années 60.

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