Lorenzo Kom’boa Ervin est un écrivain et activiste anarchiste noir américain. Figure de proue du Black anarchism. Ancien membre du Black Panther Party, il est incarcéré pendant 15 ans, accusé d’avoir voulu attenter à la vie d’un dirigeant du Ku Klux Klan. Il est un critique “du ghetto anarchiste” et de la “plantation progressiste”.
J’ai parlé à Eugene, Oregon ¹, en octobre, et maintenant il y a un “débat” pour savoir si Lorenzo est un “primitiviste” ? Et soudainement je suis au milieu d’un débat “syndicaliste contre primitiviste” qui ne m’intéresse pas du tout.
C’est certainement une connerie inventée de toute pièce.
J’ai récemment pris la parole à Eugene et Portland devant des auditoires anarchistes au nom d’un prisonnier politique purgeant une peine de 23 ans pour destruction de biens, tout comme je soutiens les prisonniers politiques du monde entier, mais le sujet de la conférence n’avait rien à voir avec le “primitivisme”. [La conférence de Portland était sponsorisée par l’APLAN, le groupe anarchiste de soutien aux prisonniers, et traitait de la guerre, des prisons et de la brutalité policière.] Je ne suis dans le camp de personne à ce sujet. Mais je dirai que je suis pour l’éradication du capitalisme et de la civilisation occidentale, qui est basée sur l’asservissement de mon peuple et des peuples de couleur de ce monde. J’ai cette position depuis longtemps, mais c’est ma position. Nous n’essayons pas simplement de démanteler les États-Unis, ni de placer des visages noirs/bruns/jaunes dans les hautes sphères, ni d’élire un parlement anarchiste. Nous voulons changer fondamentalement la vie sociale, et nous débarrasser entièrement de l’ancien système, pas faire en sorte que la société technicienne corrompue “travaille pour le peuple”. Bon sang, ce n’est pas différent de ce que les bolcheviks ont fait en Russie, ils ont essayé de mettre l’économie capitaliste/la civilisation occidentale au service du peuple dans un nouvel “État ouvrier”. Je sais que nous voulons en finir avec une société basée sur l’esclavage racial, l’exploitation économique, la domination politique et toutes les formes d’oppression sociale. Est-ce une “ critique primitiviste “, eh bien je ne sais pas ? Je ne suis pas sûr de la forme que prendra exactement cette nouvelle société/ce nouveau mode de vie, mais je suis ouvert à l’idée d’écouter la perspective de quelqu’un d’autre, et je me sens assez fort moi-même pour prendre des décisions critiques à ce sujet. Mais, bien sûr, je ne suis pas allé à Eugene pour “m’engager”, même si certains veulent le croire. Je n’ai même pas eu de discussion sur le sujet pendant toute la durée de mon séjour. Ce qui est fou, c’est qu’avant même que je n’arrive, des “rumeurs” ont commencé à dire que je détestais les anarchistes d’Eugene, et que personne ne pouvait comprendre pourquoi j’y parlais. Je n’ai jamais dit une telle chose, et je vais là où les gens me reçoivent, même si je ne suis pas d’accord avec certains aspects de leur idéologie globale/concepts fondamentaux.
Je parle devant toutes sortes de publics, mais surtout devant des anarchistes de tous bords : syndicalistes, altermondialistes, plateformistes, fédérations ABC, autonomistes noirs, ainsi que toutes sortes de radicaux indépendants. Vous ne pouvez pas déduire l’appartenance à une organisation ou une sympathie politique strictement sur la base d’une conférence que je donne. Je n’apprécie pas que les gens essaient de m’attribuer des arrière-pensées ou d’affiner leurs théories à mes dépens, mais vous savez quoi, je ne vais pas soulever la question à nouveau, et je vous laisse tous vous en occuper. Je vais simplement dire la vérité et laisser les choses suivre leur cours. En attendant, je vais bientôt sortir une nouvelle version de L’anarchisme et la révolution noire qui exposera ma position. Elle sera certainement différente des versions précédentes, mais ne pensez pas qu’il s’agira d’un traité primitiviste, mais pensez-y par vous-même. Je ne fais ou ne dis jamais de choses parce que je veux que les gens m’aiment. J’aime toujours me considérer comme une personne unique sur le plan politique, qui crée de nouvelles façons de penser, ce qui signifie que j’envisagerai de nouveaux idéaux, même si je les rejette partiellement ou totalement. Ce que je n’aime pas, c’est que les gens essaient de faire pression sur moi ou de me mettre au pilori si j’envisage de nouvelles critiques de l’État et du capitalisme. Lorsque j’ai publié mes premières critiques dans L’anarchisme et la révolution noire en 1979, j’ai été évincé et critiqué avec véhémence par le mouvement anarchiste nord-américain, principalement aux États-Unis. Les gens ont prétendu que j’étais “raciste”, que je “prêchais le séparatisme”, que je “détruisais l’unité de classe entre Noirs et Blancs”, et d’autres absurdités. Et maintenant, je dois croire qu’ils s’inquiètent que je me “détourne” du syndicalisme et devienne un primitiviste, quoi que ce soit. La vérité est que je ne me suis pas décrit comme un syndicaliste depuis des années, je suis un autonomiste noir, et je considère que les peuples indigènes et opprimés de couleur sont au centre de tout changement social dans ce monde, et non pas comme des “sujets ou des sauvages”.
Et laissez-moi dire que, que ce soit sur l’idéologie ou les manières, je ne pense pas que les soi-disant “primitivistes” sont plus “intrinsèquement racistes” que certains des connards racistes que j’ai rencontrés et avec lesquels j’ai discuté dans les IWW, ARA, AFA et d’autres tendances de ce genre au fil des ans, qui non seulement ne voulaient pas de Noirs / peuples de couleur [en tout nombre] dans leurs mouvements, mais ne voulaient pas faire face à tout ce que je / nous avions à dire sur le manque de diversité de ces mouvements, et leur orientation “héros de la classe ouvrière blanche”. Rien n’a changé à cet égard au fil des ans, et vous le savez tous ici, si vous êtes honnêtes. Les radicaux blancs, les anarchistes, les socialistes ou les communistes ont l’impression de parler au nom des travailleurs blancs [ce n’est pas le cas, mais c’est une autre histoire], et au mieux, ils ne s’intéressent que du bout des lèvres aux luttes des Noirs et des communautés noires. Ils estiment que nous n’avons rien à apporter à une révolution sociale, sauf en tant que membres de leurs fédérations ou partis. Ainsi, je ne rejoins aucun mouvement totalement blanc : syndicaliste, primitiviste, marxiste libertaire, anarchiste ou autre, mais je prendrai en compte les arguments politiques de ces tendances, et pourrai même en intégrer certaines parties. À cet égard, je ne suis pas dogmatique, bien que certains puissent m’accuser d’être “éclectique” ou “pragmatique”.
Enfin, je n’ai pas à demander la permission de qui que ce soit pour aller quelque part et parler, et je laisserai cela aux âmes faibles qui s’inquiètent de ce que je fais et dis, comme si cela avait une signification politique si profonde et qu’ils devaient s’inquiéter de tout cela comme si j’étais un dirigeant ou un chef d’État. C’est de la folie. Si cela vous dérange à ce point et que vous restez éveillé la nuit à vous inquiéter pour moi, alors consultez un professionnel, car je fais et dis ce que je veux, et cela peut vous rendre complètement fou d’essayer de comprendre tout cela. Même les feuilles de thé ne disent rien. Il n’y a pas de message caché de mon voyage, et je ne suis entré dans le camp de personne. Je pense toujours par moi-même, et ce qui peut vous sembler contradictoire est parfaitement logique pour moi. C’est dit. Vous n’avez donc rien de mieux à faire ? Une guerre mondiale fait rage, il y a une crise économique capitaliste internationale, des millions de personnes sont emprisonnées, affamées ou assassinées par des gouvernements, et tout ce que vous avez le temps de faire, c’est de vous interroger sur de telles absurdités.
Novembre 2001
- Eugene fut un haut lieu de la lutte anarchiste et écologiste depuis l’opposition à la Guerre du Golf (1991) jusqu’au début 2000. C’est aussi en Oregon que se développent le primitivisme de John Zerzan et des formes de sabotages radicales comme celles de l’ELF.