L’antiracisme de l’immigration dans la métropole française sous l’angle de la lutte des classes. (Partie 1)
Le choix de commencer cette histoire dans les années 70 est bien sûr arbitraire, mais se prête au propos. Début 72, soit 10 ans après la libération de l’Algérie, ce sont les circulaires Marcellin-Fontanet qui redéfinissent les frontières de l’État-nation par le travail, elles inaugurent toute une phase de lutte pour l’accès/abolition des papiers. L’année 73, qui signe aussi la fin des 30 glorieuses, le début de la crise pétrolière, est peut-être la période la plus conflictuelle de l’histoire de l’immigration française et voit aussi le développement de revendications d’autonomie, comme celles du MTA.
Si Ordre Nouveau existe depuis 69, le FN est créé en 72, le groupe Charles Martel lui est créé en 73. Les élections de 74 n’indiquent pas un fort ancrage idéologique de ces groupes, le FN reprenant le slogan d’Ordre Nouveau « un million de chômeurs, c'est un million d’étrangers en trop » ne fera même pas 1%. Cela n’empêche pas que, suivant la nationalisation de la production de pétrole par l’Algérie, 73 sera une année avec un taux d’arabicides (majoritairement des algériens) très élevé, et où ont lieu de nombreuses ratonnades, surtout à Marseille, Ratonnades qui pousseront le MTA, qui existait depuis à peine un an, à s’organiser en réponse aux violences racistes. C’est le moment des grèves générales contre le racisme.
À partir des années 60 et tout au long des années 70, la condition d’OS dans les régions urbaines et industrialisées est racialisée, Laure Pitti indique qu’en “1971, 69,1 % des ouvriers des usines Renault à Billancourt sont OS, parmi lesquels 40,1 % d’« Africains du Nord » (ainsi désignés dans les études statistiques que produit l’entreprise), au premier rang desquels les Algériens, figure de l’OS étranger. À l’époque, ceux-ci sont en effet OS à 95 %, les 5 % restant se répartissant entre manœuvres (3 %) et professionnels (2 %))” (Laure Pitti, Les luttes centrales des O.S. immigrés). Il est étonnant que les idéologies marxisantes défendant l’idée que les luttes des OS dans les usines marquent un tournant dans la lutte des classes font rarement le lien entre ces formes nouvelles formes de sabotages, absentéismes, refus du travail, bref d’anti-travail et la condition raciale. Pour Bruno Astarian, même dans ses précisions récentes sur le concept d’anti-travail, on ne trouve aucun mot sur la racialisation du travail, le capitalisme racial et le rôle de la racialisation des OS dans leurs formes de luttes. Sous le prisme du capitalisme racial, on peut difficilement s'étonner que ce soit aussi en 73 aussi que l’on voit apparaitre une grève des OS de Renault-Billancourt (précédée en 69 et 71 par des grèves dans le reste de l’automobile).
S’ajoutant aux circulaires Marcellin-Fontanet, des politiques de rassemblements familiales sont mis en place sous la présidence de Giscard d’Estaing. Le prolétariat maghrébin s’identifie toujours à ses nations d’origine et fait vivre un mythe du retour qui affectera les revendications et modes d’organisation jusqu’aux années 80. La prise d’autonomie par rapport à la gauche française, l’identification en tant que (post)-colonisé.e.s, similaire à l’approche des nationalistes noir.e.s américain.e.s, font de la lutte ouvrière immigrée, une lutte qui se pense elle-même comme anti-impérialiste faisant le lien entre l’ingérence française en Afrique, la cause palestinienne et les conditions ethno-raciales en France. Cette identification sera aussi accentuée par la ségrégation spatiale dans les foyers SONACOTRA et les luttes pour les loyers qui y auront lieu et qui viendront s’ajouter aux conflits industriels.
Pour aller plus loin :
- Laure Pitti, Les luttes centrales des O.S. immigrés
- Une histoire du Mouvement des travailleurs arabes
- Théorie Communiste, Le kaléidoscope du prolétariat, N° 26, Le travailleur immigré : « ouvrier » OU « immigré», p.18–39
