L’anarchie des filles de couleur réunies de manière séditieuse — Saidiya Hartman
Saidiya Hartman est une écrivaine et une universitaire américaine spécialisée dans les études afro-américaines. Elle est actuellement professeur d’université à l’université de Columbia.Elle travail notamment sur la littérature et l’histoire culturelle afro-américaines et américaines, l’esclavage, le droit et la littérature, les études de genre et les études sur la performance. Ce texte est issu de son livre Wayward Lives, Beautiful Experiments: Intimate Histories of Riotous Black Girls, Troublesome Women, and Queer Radicals [Vies rebelles, belles expériences : Histoires intimes de filles noires turbulentes, de femmes turbulentes et de radicaux.alles queer]. Elle décrit son projet littéraire/historique comme une réinterprétation des archives:
Tous les personnages et événements contenus dans ce livre sont réels ; aucun n’est inventé. Ce que je sais de la vie de ces jeunes femmes est tiré des journaux de collecteurs de loyers, d’enquêtes et de monographies de sociologues, de procès et d’études de cas, de photographies de bidonvilles, de rapports de la police des mœurs, de travailleurs sociaux et des agents de probation, d’entretiens avec des psychiatres et des psychologues et de dossiers de prison, qui les présentent tous comme un problème. (Certains noms ont été changés pour protéger la confidentialité et comme l’exige l’utilisation des archives d’État). J’ai élaboré un contre-récit libéré du jugement et de la classification qui ont soumis les jeunes femmes noires à la surveillance, à l’arrestation, à la punition et à l’enfermement. l’enfermement, et je propose un récit qui s’intéresse aux belles expériences — faire de la vie un art — entreprisent par celles qui sont souvent décrites comme ayant des mœurs légères, insouciantes, sauvages, et rebelles (Wayward Lives, Beautiful Experiments, A Note on Method)
Esther Brown n’a pas écrit de tract politique sur le refus d’être gouverné, ni ébauché un plan d’entraide, ni tracé les contours d’un mémoire de ses aventures sexuelles. Un manifeste rebelle : “Ne possédez rien. Refusez ce qui est donné. Vivez de ce dont vous avez besoin et rien de plus. Préparez-vous à être libre” — n’a pas trouvé dans les affaires de son dossier judiciaire. Elle n’a rédigé aucun vers de chanson : Ma mère dit que je suis imprudente, Mon père dit que je suis folle, Je ne suis pas belle, mais je suis l’angelot de quelqu’un. Elle n’a pas inscrit sur le papier ses ruminations sur la liberté : Quand la nature humaine est enfermée dans une cage étroite, soumise quotidiennement par des coups de fouet, comment peut-on parler de potentialités ? (Bessie Smith, impératrice du blues, Reckless Blues) Les pancartes en carton, pour le désordre et la révolte qu’elles incitaient, auraient pu dire : “Ne m’embrouillez pas. J’ai pas peur de tout péter”. Mais sa lutte se passait de déclarations formelles de politique, de slogans ou de crédos. Elle n’avait pas besoin de manifeste de parti ou de programme en dix points. Marchant dans les rues de New York City, elle et Emma Goldman se croisèrent, mais ne se sont pas reconnues. Quand Hubert Harrison l’a rencontrée dans le lobby du Renaissance Casino [“Renny” ou la “Mecque Noire” était un haut lieu du jazz et de la Renaissance de Harlem dans les années 20] après qu’il ait donné ses cours sur “Le mariage contre l’Amour Libre” pour le Club Socialiste [Colored Socialist Club, la première tentative du Parti socialiste d’Amérique d’approcher les communautés afro-américaines], il remarqua seulement qu’elle avait un jolie visage et un gros cul. Esther Brown n’a jamais amené de tribune improvisée [soapbox] au coin de la 135ème rue et de Lenox Avenue pour faire un discours sur l’autonomie, la portée globale de la ligne de couleur, la servitude involontaire, la maternité libre ou la promesse d’un monde futur, mais elle comprenait bien que son désir de bouger comme elle l’entendait n’était rien moins que de la trahison. Elle savait de premières mains que l’offense que l’état punissait le plus était de tenter de vivre libre. Errer dans les rues de Harlem, vouloir mieux que ce qu’elle avait, et être mue par ses caprices et ses désirs, c’était être ingouvernable. Sa façon de vivre n’était rien moins que l’anarchie.
Si quelqu’un avait trouvé les notes pour la reconstruction qu’elle avait notée sur les marges de sa liste de course, ou corrélé les chiffres les plus encerclés dans son livre de rêves écorné avec les chemins d’échappée qui ne se trouve pas dans l’atlas de Rand McNally, ou vu les lettres d’amours écrites pour son amie disant comment elles vivraient à la fin au bout du monde, les maîtres de philosophie et les radicaux à cartes de partis auraient dit, selon toute vraisemblance, que son analyse était insuffisante, ils l’auraient écartée sous prétexte de n’avoir pas compris les passages clés des Grundrisse sur le refus du travail des ancien.ne.s esclaves — ils ont cessé d’être des esclaves, non pour devenir des ouvriers salariés — elle acquiesçait avec enthousiasme à tous les mauvais endroits — content de produire ce quiest strictement nécessaire à leur consommation — et considèrent comme le véritable article de luxe la fainéantise elle-même (laisser-aller et oisiveté) tout cela soulignant les limites des politiques féministes noires. Que savaient-ils de Truth et de Tubman ? Des contours de la guerre des femmes noires contre l’état et le capital ? Pouvaient-ils jamais comprendre les rêves d’un autre monde qui n’avait que faire des distinctions entre l’homme, le colon et le maître ? Ou raconté la lutte contre la servitude, la captivité, la propriété et l’enfermement, qui commença dans les baracons et se poursuivit sur le navire, où certain.e.s combattirent, certain.e.s sautèrent, certain.e.s refusèrent de manger. D’autres mirent le feu à la plantation et aux champs, empoisonnèrent le maître. Iels n’avaient jamais écouté Lucy Parsons ; iels n’avaient jamais lu Ida B. Wells. Ni envisagé l’émeute comme un cri de ralliement et le refus d’une vie fongible ? Seule une mauvaise interprétation des textes clés de l’anarchisme pourrait imaginer une place pour les filles rebelles de couleur. Non, Kropotkin n’a jamais décrit les sociétés d’entraide des femmes noires ou le chœur de L’Entraide bien qu’il ait imaginé une socialité animale dans sa riche variété et les formes de coopération que l’on trouve chez les fourmis, les singes, les ruminants. Impossibles, les domestiques récalcitrantes n’apparaissaient pas encore sur son radar ou sur le radar de quiconque. (Il faudra une décennie et demie avant que Marvel Cooke et Ella Baker n’écrivent leur essai “Le marché aux esclaves du Bronx” [The Bronx Slave Market] et deux décennies avant la parution de “Femmes noires et communisme : mettre fin à une omission" de Claudia Jones.)
Il n’est pas surprenant qu’une noire [negress] soit coupable de confondre l’oisiveté avec la résistance, ou d’exalter la lutte pour la simple survie, ou de faire passer de menues actions pour une insurrection, ou d’imaginer qu’une figure mineure, soit capable de grande chose ou de prendre la paresse et l’inefficacité pour une grève générale ou de transformer le vol en un acte socialiste de bas étage pour des filles trop rapides et des femmes douteuses ou de qualifier des idées folles de pensées radicales. Au mieux, le cas d’Esther Brown donne un autre exemple de la tendance à l’exagération et aux excès qui est commune à la Race. Une révolution en mode mineure qui se remarquait à peine avant l’esprit du Bolchévisme ou la vision nationale d’un Empire Noire, ou le glamour des riches libertins, des socialistes à la mode, et des New Negroes autoproclamés. Personne ne se souvient du soir où ses amies et elles ont semé la zizanie sur la 132ème rue, ou qu’elles ont vidé Edmund’s Cellar ou fait un si joli raffut pendant l’émeute que leurs cris et leurs clameurs étaient de la musique improvisée, tellement que même les journalistes musicalement analphabètes du New York Times ont décrit le bruit de fond [black noise] des femmes indisciplinées comme un refrain de jazz.
Expériences rebelles
Esther Brown détestait le travail, les conditions de travail autant que l’idée même du travail. Comme en témoigner ses raisons de démissionner. Le ménage : le salaire trop bas. Blanchisserie : Trop dur. S’est enfuie. Tâches ménagères : Fatiguée du travail. Lavandière : Trop dur. Coudre des boutons sur des chemises : Fatiguée du travail. Plonge : Fatiguée du travail. Ménage : patron trop énervé. Service à demeure : autant être esclave. À l’âge de quinze ans, quand elle quitta l’école, elle fit l’expérience de la violence endémique au travail domestique et se fatigua rapidement des exigences de soins de ceux qui ne se soucient pas de vous. Elle courait les rues parce qu’il n’y avait que là qu’il y avait quelque chose pour elle. Elle restait dans les rues pour échapper à l’étouffement du petit appartement de sa mère, rempli de locataires, d’hommes qui prenaient trop de place et aux mains baladeuses. Depuis quelques années, elle avait des relations, mais seulement parce qu’elle aimait ça. Elle n’est jamais allée avec un homme seulement pour l’argent. Elle n’était pas une prostituée. Après la déception d’un mariage de courte durée avec un homme qui n’était pas le père de son bébé (il avait proposé de l’épouser, mais elle l’avait rejeté), elle s’en alla vivre avec sa sœur et sa grand-mère, qui l’aidèrent à élever son fils. Elle avait plusieurs amants, auxquels elle était liée par la nécessité et le désir, pas par la loi.
Le seul luxe d’Esther était l’oisiveté et elle adorait dire à ses amis : “Si vous vous sentez fatiguées quand vous vous réveillez le matin, recouchez-vous, puis aller au théâtre le soir.” Avec le soutien de sa sœur et de sa grand-mère et avec l’aide de ses compagnons, elle n’avait pas besoin de travailler régulièrement. Elle prenait un job quand elle était dans le pétrin et supportait six semaines de : “Oui, Madame. Je m’en occupe” quand elle était pressée par la nécessité. Alors, vraiment, elle s’en sortait bien et elle avait presque perfectionné l’art de survivre sans avoir à faire des courbettes. Elle détestait être domestique, comme toutes les femmes de ménage. Le métier portait les stigmates de l’esclavage ; les filles blanches cherchait à l’éviter pour une la même raison — c’était du travail de nègre. Si ses employeuses s’étaient doutées que meilleure est la domestique, plus elle déteste sa maîtresse, ils n’auraient jamais confié à Esther leurs “précieuses têtes blondes”.
Pourquoi devrait-elle trimer dans une cuisine ou une usine pour survivre ? Pourquoi devrait-elle s’échiner pour des Blanc.he.s ? Elle préférait se promener le long des larges avenues de Harlem et se perdre dans les cabarets et dans les cinémas. Dans la rue, les jeunes femmes et les jeunes hommes démontraient leurs talents et leurs ambitions. C’était mieux que de rester à la maison et de fixer les murs. À Harlem, la promenade était un art raffiné, une chorégraphie quotidienne du possible ; c’était le mouvement collectif des rues, sans têtes, qui se répandait dans toutes les directions, et qui se mouvait et dérivait en masse, comme un essaim ou la houle d’un océan ; c’était un long poème de la faim et du combat noire. Les corps qui se précipitaient à travers le quartier et qui ralentissaient aux coins de rues et qui trainaient sur les perrons était une assemblée des damnés, des aventuriers, des dangereux. “Toutes les modalités chantaient une partie du refrain” et les refrains étaient d’une infinie variété. Sur les avenues, les possibilités étaient scintillantes et évanescentes, même si elles n’étaient que flottantes et restaient souvent irréalisées. La carte des peut-être, des probables et des potentiellement ne se réduisaient pas à la trace des pas d’Esther ni à celles d’aucune autre personne. Son chemin était une voie d’errance découpant le cœur d’Harlem à la recherche de la ville ouverte, l’ouverture [en français dans le texte, référence musicale], à l’intérieur du ghetto. L’errance et la dérive étaient la manière dont elle s’engageait dans le monde et la façon dont elle le percevait. On ne pouvait pas distinguer l’idée de ce qui pourrait être possible, des corps se déplaçant et de la ruée éphémère et de l’envolée des personnes noires à travers cette ville dans la ville. En parcourant les rues [streetwalking est aussi synonyme de faire le tapin] de la capitale noire, les rebelles gagnaient en audace, les gens las y trouvaient un port d’attache, les rêves des damnés s’attisaient, et l’esprit d’aventure trouvait des encouragements.
Quand elle dérivait dans la ville, un millier d’idées sur la personne qu’elle pourrait être et ce qu’elle pourrait faire défilaient dans sa tête, mais elle ne savait pas quoi en faire. Ses pensées étaient brutes, fragmentées, sauvages. Comment pourraient-elles se transformer en plan pour quelque chose de mieux ? Esther était d’une intelligence redoutable. Son visage était vif, alerte, elle avait des yeux perçants qui annonçait son intérêt pour le monde. Combinés à une fierté notable, cela donnait à cette fille de dix-sept ans une apparence robuste, une force à part entière. Même les enseignants blancs de son école de formation, qui ne l’aimaient pas et qui rechignaient à chanter des louanges indues à une fille de couleur, concédaient qu’elle était très intelligente, bien qu’elle fut prompte à se mettre en colère par trop de fierté. Elle insistait pour n’être pas traitée différemment des filles blanches, alors ils disaient qu’elle cousait des problèmes. Le problème n’était pas ses capacités ; c’était son attitude. La brutalité dont elle fit l’expérience à la Hudson Training School for Girls lui apprit à riposter, à rendre les coups. Les enseignants dirent aux autorités qu’elle avait eues trop de liberté. Que ça l’avait gâtée et que ça l’avait transformé en ce genre de jeune femme qui n’hésiterait pas à détruire les choses. Si dans ses mains la liberté n’était pas un crime, elle était une menace à l’ordre public et à la décence morale. Une liberté excessive l’avait gâtée. Lea travailleurse sociale était d’accord : “Sans contrepartie sociale pour la contraindre, elle était ingouvernable”.
Esther Brown était sauvage et rebelle. Elle aspirait à une autre façon de vivre dans le monde. Elle avait faim de ça suffit, d’autrement, de mieux. Elle avait faim de beauté. Dans son cas, l’esthétique n’était pas un domaine séparé et distinct des défis de la survie quotidienne, le but était plutôt d’inventer un art de la subsistance, une lyrique de l’être jeune, pauvre, douée et noire. Pourtant, elle n’a pas essayé de créer un poème, une chanson ou une peinture. Ce qu’elle a créé, c’est Esther Brown. C’était l’offrande, ce morceau d’art, qui ne pouvait venir d’aucune autre. Elle le polissait et l’affinait. Elle allait célébrer le fait que chaque jour quelque chose avait essayé de la tuer et avait échoué. Elle faisait une belle vie. Qu’est-ce que la beauté, sinon “la sensation intense d’être attiré par la force animatrice de la vie” ? Ou la folle envie “de mettre les choses en relation… et avec autant d’urgence que si sa vie en dépendait”. Aux yeux du monde, ses idées folles, ses rêves d’un autre monde et son désir d’échapper à la corvée risquaient de conduire à des troubles et à des bouleversements, à une rébellion ouverte. Esther Brown n’avait pas besoin d’un mari, d’un daddy ou d’un patron pour lui dire quoi faire. Mais une jeune femme qui passe d’un emploi à l’autre et d’un amant à l’autre est considérée comme immorale et destinée à devenir une menace pour l’ordre social, une menace pour la société. L’inspecteur Brady l’a dit lorsqu’il a arrêté Esther et ses amies.
Ce que la loi désignait comme un crime étaient les formes de vie créées par des jeunes femmes noires dans la ville. Les modes d’intimité et d’affiliation fabriqués dans le ghetto, le refus de travail, les formes de rassemblement, les pratiques de subsistance et de débrouille étaient surveillés et ciblés par la police, mais aussi par les sociologues et les réformateurs qui recueillaient des informations et montaient des dossiers contre elles, faisant de leurs vies des biographies tragiques de pauvreté, de crime et de pathologie. L’activité requise pour reproduire et maintenir la vie est, comme Marx l’a noté, une forme définie d’exprimer la vie, c’est un art de la survie, une poesis sociale. La subsistance — se débrouiller, s’en sortir, joindre les deux bouts — impliquait une lutte permanente pour produire une façon de vivre dans un contexte où la pauvreté était considérée comme allant de soi et où le travail domestique ou les tâches ménagères en général constituaient la seule possibilité offerte aux filles et aux femmes noires. Les actes des rebelles — les idées folles, les rêves téméraires, les protestations interminables, les grèves spontanées, la non-participation, l’indiscipline et le refus audacieux — redistribuaient l’équilibre entre le besoin et le manque et cherchaient à échapper à la dette et au devoir pour tenter de créer un chemin ailleurs.
La simple survie était un exploit dans un contexte aussi brutal. Comment valoriser la vie ou parler de ses potentialités lorsqu’on est confinée dans le ghetto, lorsqu’on subit quotidiennement des agressions et des insultes racistes, lorsqu’on est enrôlé dans la servitude ? Comment puis-je vivre ? — C’était une question qu’Esther se posait tous les jours. La survie exigeait des actes de collaboration et du génie. L’imagination d’Esther était orientée vers la clarification de la vie — “ce qui maintiendrait la vie matérielle et l’améliorerait, quelque chose qui impliquerait plus que la reproduction de l’existence physique”. La mutualité et la créativité nécessaires au maintien de la vie dans un contexte de salaires intermittents, de privations contrôlées, d’exclusion économique, de coercition et de violence anti-noire frôlaient souvent l’extralégal et le criminel. Les expériences belles et rebelles impliquaient ce que W. E. B. DuBois a décrit comme une “rébellion ouverte” contre la société.
Cette histoire spéculative des rebelles est un effort pour raconter la rébellion ouverte et la belle expérience produite par les jeunes femmes dans le ghetto émergent, une forme d’enclosure racial qui a succédé à la plantation. Le récit utilise les rapports et les dossiers de la maison de correction, des enquêteurs privés, des psychologues et des travailleurs sociaux pour remettre en question les principes fondamentaux de ces récits, les plus basiques étant que les vies représentées nécessitent une intervention et une réhabilitation et que la question — qui es-tu ? — est indissociable du statut d’un individu en tant que problème social. La méthode est la fabulation critique. La violence, la surveillance et la détention de l’État produisent les traces d’archives et les dossiers institutionnels qui servent de base à la reconstruction de ces vies ; mais le désir et l’envie de quelque chose de meilleur déterminent les contours du récit. La narration imite le chemin errant des vagabonds et passe d’une histoire à l’autre par le biais de la rencontre, du hasard, de la proximité et de la socialité créée par l’enfermement. Il s’efforce de transmettre l’aspiration et le désir du voyageur, ainsi que le tumulte et le bouleversement provoqués par le chœur.
La plupart du temps, l’histoire d’Esther et de ses amies et la potentialité de leurs vies sont restées impensées parce que personne ne pouvait imaginer les jeunes femmes noires comme des visionnaires sociales, des penseuses radicales et des innovatrices dans le monde dans lequel ces actes ont eu lieu. Cette histoire latente n’a pas encore émergé : Une révolution en mode mineur [minor key: musique] s’est déroulée dans la ville et les jeunes femmes noires en ont été le vecteur. Elle n’était pas motivée par l’ascension sociale ou la lutte pour la reconnaissance ou la citoyenneté, mais par la vision d’un monde qui garantirait à chaque être humain le libre accès à la terre et la pleine jouissance des nécessités de la vie, selon les désirs, les goûts et les inclinations de chacune. Dans ce monde, l’amour libre et la maternité libre ne seraient pas criminalisés et punis. Pour apprécier les belles expériences d’Esther Brown et de ses amis, il faut d’abord concevoir quelque chose d’aussi inimaginable et sans précédent que des filles trop rapides, des femmes excédentaires et des putains produisant une “pensée de l’extérieur”, c’est-à-dire une pensée dirigée vers la limite extérieure de ce qui est possible. Des notions aussi vastes de ce qui pourrait être sont le fruit de siècles d’entraide, organisée en catimini et exhibée au grand jour.
La collaboration, la réciprocité et la création partagée ont défini la pratique de l’entraide. C’était et ça reste une pratique collective de survie pour celleux qui n’ont pas la notion que la vie et la terre, l’homme et la Terre peuvent être possédés, échangés et devenir la propriété privée de quelqu’un.e, celleux qui ne pourront jamais s’autoposséder, ou se considérer comme des propriétaires avides et intéressés, ou mesurer leur vie et leur valeur par le livre de comptes ou le carnet de quittances des loyers, ou désirer être le colon ou le maître. L’entraide ne s’appuyait pas sur la croyance que le soi existait de manière distincte et séparée des autres, ni ne révérait les idées d’individualité et de souveraineté, autant qu’elle le faisait pour la singularité et la liberté. La société d’entraide a survécu au Passage du Milieu et ses origines peuvent être retracées dans les traditions de collectivité, qui se sont épanouies dans les sociétés sans État qui ont précédé la transgression de l’Atlantique et ont perduré dans son sillage. Cette forme d’assistance mutuelle a été remodelée dans les cales du navire négrier, de la plantation et du ghetto. Elle concrétisait les idéaux des communs, du collectif, de l’ensemble, du toujours-plus-qu’un d’exister dans le monde. La société d’entraide était une ressource de survie pour les Noirs. La création continue et ouverte de nouvelles conditions d’existence et l’improvisation d’associations libres et bénéfiques pour la vie étaient une pratique élaborée dans les clubs sociaux, les tenements, les tavernes, les salles de danse, les maisons en désordre et les rues.
Esther travaillait depuis deux jours comme domestique à Long Island quand elle a décidé de retourner à Harlem pour voir son bébé et s’amuser un peu. C’était l’été et Harlem était vivant. Elle rend visite à son fils et à sa grand-mère, mais reste chez son amie Joséphine, dont la maison est toujours pleine de gens qui dansent, boivent, et font la bringue. Esther avait prévu de retourner au boulot le lendemain, mais une journée s’est transformée sur plusieurs jours. Les gens avaient tendance à perdre la notion du temps chez Joséphine. Le 5 West 134th street avait la réputation d’être un lieu de rendez-vous secrets entre amant.e.s, de fêtes et de jeux d’argent. L’appartement se trouvait en plein cœur de l’action, juste à côté de la Cinquième Avenue, dans un quartier de Harlem où les immeubles sont surpeuplés et où les descentes de police sont fréquentes. Esther jouait aux cartes lorsque Rebecca est arrivée avec Krause, qui a dit qu’il avait un ami qu’il voulait lui présenter. Elle n’a pas envie de sortir, mais iels ne cessent de la harceler et Joséphine l’encourage à essayer. Pourquoi ne pas s’amuser ?
Tu veux passer un bon moment ? a demandé Brady. Rebecca lui a jeté un coup d’œil. Un sourire et la promesse de s’amuser étaient les seuls encouragements dont Rebecca avait besoin. Esther ne s’est pas souciée d’une manière ou d’une autre. Elle a suggéré qu’iels retournent chez Joséphine, mais Brady ne voulait pas, alors ils ont décidé de traîner dans le couloir d’un immeuble voisin. Un couloir d’immeuble était aussi bien que n’importe quel salon. Dans le passage sombre, Brady s’est blotti contre Rebecca, tandis que son ami essayait de se mettre avec Esther. Krause a demandé 50 cents à Brady pour aller acheter de l’alcool. C’est alors que Brady a dit qu’il était détective. Krause est parti rapidement, comme s’il savait ce qui allait se passer dès que l’homme a ouvert la bouche. Il se serait enfui si Brady ne lui avait pas tiré dans le pied.
Au commissariat, le détective Brady a accusé Krause d’esclavage blanc et Esther et Rebecca de violation de la Tenement House Act. Ils ont été emmenés du commissariat au tribunal Jefferson Market pour une mise en accusation. Comme elles ont dix-sept ans et n’ont pas d’antécédents judiciaires, elles sont envoyées au Empire Friendly Shelter en attendant leur procès, plutôt que d’être enfermées dans les tombes, que tout le monde appelle les cellules de prison au-dessus du tribunal de Jefferson. Un jour plus tard, les charges contre Krause sont abandonnées parce que l’autre détective ne s’est pas présenté au tribunal. Ils attendaient de se présenter devant le juge lorsque Krause leur a fait savoir qu’il était libre. Esther et Rebecca n’auront pas cette chance. Il est difficile de qualifier d’audience la procédure superficielle et l’indifférence routinière du tribunal pour femmes, puisque le tribunal d’instance n’a pas de jury, ne produit aucun compte-rendu écrit des événements, n’exige aucune preuve autre que la parole du policier, ne prend pas en compte les intentions de l’accusé, ni même n’exige l’accomplissement d’un acte criminel. C’est la probabilité d’une criminalité future qui a décidé de leur peine plutôt que toute violation de la loi. Le juge d’instance a à peine regardé les deux filles de couleur avant de les condamner à trois ans de maison de correction. Le travailleur social a recommandé qu’elles soient envoyées à Bedford Hills pour les sauver d’une vie dans les rues.
Harlem grouillait de vice-enquêteurs, de détectives sous couverture et de bienfaiteurs qui avaient tous l’intention de sortir les jeunes femmes noires des rues, même si cela signifiait les arrêter jusqu’à la dernière. Les promeneuses de rue, les domestiques épuisées, les créatures nocturnes, les aspirantes choristes et les femmes de couleur trop bruyantes étaient arrêtées sur un coup de tête, un soupçon ou une probabilité. En garde à vue, les raisons de l’arrestation étaient présentées : flânerie. Émeute et trouble à l’ordre public. Prostitution [Solicitation]. Violation de la Tenement House Act. Qui aurait pu savoir que faire trop de bruit, ou flâner dans le couloir de son immeuble ou sur le perron était une violation de la loi ; ou que donner rendez-vous à quelqu’un rencontré en boîte, ou organiser une rencontre fortuite, ou courir les rues était de la prostitution ? Où partager un appartement avec dix amis était une anarchie criminelle ? Ou que l’endroit où l’on logeait était une maison agitée [disorderly house], et pouvait être perquisitionné à tout moment ? Le véritable délit était la noirceure. Votre statut faisait de vous une criminelle. Le signe révélateur de la criminalité future était un visage noir.
Jusqu’à la nuit du 17 juillet 1917, Esther Brown avait eu de la chance et avait échappé à la police, bien qu’elle ait été sous son regard pendant tout ce temps. La volonté de prendre du bon temps avec un étranger ou la probabilité de se livrer à un acte immoral — une intimité sexuelle hors mariage — était une preuve suffisante de méfait. La volonté ou l’intention était le délit à punir. La seule façon de contrer la présomption de méfait et d’établir l’innocence était de donner une bonne image de soi. Esther n’a pas réussi à le faire, comme beaucoup de jeunes femmes qui passaient par la cour. Peu importe qu’Esther n’ait pas sollicité Krause ou demandé ou accepté de l’argent. Elle se croyait innocente, mais le Tribunal pour femmes en a décidé autrement. L’incapacité d’Esther à rendre compte d’elle-même, capable de justifier et d’expliquer sa façon de vivre ou, du moins, désireuse d’expier ses manquements et ses déviations, fait partie des délits qui lui sont reprochés. Elle admettait volontiers qu’elle détestait travailler, sans se soucier de faire la distinction entre les conditions de travail qui s’offraient à elle et un certain idéal de travail qu’elle et personne de son entourage n’avaient jamais connu. Elle a été condamnée parce qu’elle était sans emploi et qu’elle “menait la vie d’une prostituée”. On peut mener la vie d’une prostituée sans en être une.
Sans preuve d’emploi, Esther est inculpée de vagabondage en vertu de la Tenement House Law. Le vagabondage est une catégorie large et pratiquement universelle, tout comme la façon de marcher à Ferguson [référence au meurtre de Michael Brown à Ferguson, Missouri, pour avoir marché dans la rue en étant noir], c’est une accusation omniprésente qui permet à la police d’arrêter et de poursuivre facilement des jeunes femmes sans preuve de crime ou d’acte de violation de la loi. Dans les années 1910 et 1920, les lois sur le vagabondage étaient principalement utilisées pour cibler les jeunes femmes à des fins de prostitution. Être inculpé, c’était être condamné puisque le tribunal pour femmes avait le taux de condamnation le plus élevé de tous les tribunaux de la ville de New York. Près de 80 % des personnes qui comparaissaient devant le juge d’instance étaient condamnées à purger une peine. Peu importe que ce soit votre premier contact avec la loi. Les lois sur le vagabondage et les Tenement House Laws rendent les jeunes femmes noires vulnérables aux arrestations et transforment les actes sexuels, même consensuels et sans échange d’argent, en délits. L’important n’était pas ce que vous aviez fait, mais le pouvoir prophétique de la police de prédire les crimes à venir, d’anticiper photo anthropométrique dans les yeux brillants et le visage intelligent d’Esther Brown.
Le futur de la servitude involontaire
En 1349, la première loi sur le vagabondage a été adoptée en Angleterre. Cette loi était une réponse à la pénurie de main-d’œuvre à la suite de la peste noire et visait à enrôler celleux qui refusaient de travailler. Les lois anglaises sur le vagabondage ont été adoptées dans les colonies d’Amérique du Nord et revigorées avec une force et une portée nouvelles après l’émancipation et la fin de la Reconstruction. Elles ont remplacé les Black Codes, qui avaient été jugés inconstitutionnels, mais ont ressuscité la servitude involontaire sous des formes se prêtant aux termes de liberté et d’égalité.
Dans le sud, les lois sur le vagabondage sont devenues un substitut de l’esclavage, obligeant les ancien.ne.s esclaves à rester sur la plantation et limitant radicalement leurs déplacements, recréant ainsi l’esclavage, sauf de nom. Dans les villes du nord, les lois sur le vagabondage avaient également pour but de contraindre les oisifves à travailler et, plus important encore, de contrôler les sans-propriété. Les personnes sans preuve d’emploi étaient considérées comme susceptibles de commettre ou d’être impliquées dans le vice et le crime. Les statuts de vagabondage fournissaient les moyens légaux de maîtriser les nouvelleux sans-maîtres. Les origines de la “workhouse” et de la maison de correction peuvent être attribuées à ces efforts pour forcer les oisif.ves à travailler, pour gérer et réglementer l’ex-serf et l’ex-esclave lorsque la seigneurie et le servage prenaient une forme plus indirecte. Les statuts limitaient et régulaient les déplacements des Noir.e.s et punissaient les formes d’intimité qui ne pouvaient être catégorisées ou réglées par la question : Cet homme est-il votre mari ? Ceux qui n’avaient pas de preuve d’emploi et refusaient de travailler étaient, selon toute vraisemblance, coupables d’un crime — vagabondage ou prostitution.
Le vagabondage était un statut, pas un crime. C’était le refus de faire, la rétention, la non-participation, le refus d’être stable ou lié par contrat au mari ou à l’employeur. Ce refus d’un ordre social fondé sur le mariage monogame ou le travail salarié était pénalisé. La Common Law définissait le vagabond comme “une personne qui errait sans moyens de subsistance visibles”. William Blackstone, dans ses Commentaires Sur Les Lois Anglaises (1765), définit les vagabonds comme ceux qui “se veillent la nuit et dorment le jour, qui hantent habituellement des tavernes et des cabarets à bière, et des réunions oisives, sans qu’on sache ni d’où ils viennent, ni où ils vont”. Les statuts visaient celleux qui entretenaient des notions excessives de liberté et imaginaient que la liberté incluait le droit de ne pas travailler. En bref, les vagabonds étaient des déraciné.e.s — des migrant.e.s, des vagabond.e.s, des personnes déplacées et des étranger.e.s.
Les infractions de statut ont été essentielles à la refonte d’un ordre raciste au lendemain de l’esclavage et ont accéléré la disparité croissante entre les taux d’incarcération des Noirs et des Blancs dans les villes du nord au début du 20e siècle. Alors que la transformation juridique de l’esclavage en liberté est le plus souvent décrite comme le passage du statut au contrat, de la propriété au sujet, de l’esclave au nègre, les lois sur le vagabondage mettent en évidence les continuités et les enchevêtrements entre divers états non libres — de l’esclave au domestique, du domestique au vagabond, du domestique au prisonnier, de l’oisif au condamné et au criminel. La servitude involontaire n’était pas une condition unique — l’esclavage [chattel slavery, esclaves en tant que biens meubles] — et elle n’était pas non plus figée dans le temps et l’espace ; il s’agissait plutôt d’un mode d’exploitation, de domination, d’accumulation (la suppression de la volonté, le vol de la capacité, l’appropriation de la vie) et de confinement en constante évolution. Le racisme anti-noir a fondamentalement façonné le développement de la “criminalité de statut”. À son tour, la criminalité de statut est liée de manière inexorable à la noirceur.
À peine deux siècles après que le complot visant à incendier New York ait été manigancé dans un tripot black-and-tan [bars, troquet ou clubs destinés à la population noire et métisse] appelé Hughson’s Tavern, les rassemblements de Noir.e.s et la menace de tumulte faisaient encore trembler l’élite dirigeante de New York. L’État était tout aussi déterminé à prévenir les dangers et les conséquences que représentaient les Noir.e.s réuni.e.s de manière séditieuse. Les rassemblements trop bruyants, trop indisciplinés ou trop “queer”, les hôtels et les cabarets qui accueillaient des client.e.s noir.e.s et blanc.he.s, les saloons black-and-tan fréquentés par des chinois.e.s et des filles blanches ou des femmes noires avec des amants italiens, ou encore les fêtes et les buffets qui offraient un refuge aux tapettes [pansies], aux amant.e.s et aux inverti.e.s, étaient considérés comme désordonnés, pervers [promiscous], et moralement dépravés. Ces formes d’association intime et de rassemblement non réglementé menaçaient le bien public en franchissant la ligne de couleur et en s’écartant des mœurs dominantes. Les vies des rebelles étaient émeutières, folles [queer], disposées à l’extravagance et à la vie dévergondée. Cette promiscuité sociale alimentait une panique morale identifiée et mobilisée par l’élite dirigeante de la ville pour justifier l’utilisation extravagante des pouvoirs de la police.
Les lois pénales contre le trouble à l’ordre public [disorderly conduct], les maisons agitées [disorderly houses], les personnes tapageuses [disorderly persons], les assemblées illégales, l’anarchie criminelle et le vagabondage avaient pour but de réglementer l’intimité et l’association, de contrôler des styles de comportement, de dicter comment on endossait son genre et qui on aimait, et de contrecarrer la libre circulation et les chemins détournés dans la ville.
Esther Brown a été confrontée à un choix qui n’en était pas du tout un : se porter volontaire pour la servitude ou être commandée par la loi. Les lois sur le vagabondage ont été mises en œuvre et étendues afin d’enrôler les jeunes femmes de couleur dans le travail domestique et de les réglementer dans des ménages corrects, c’est-à-dire des ménages dirigés par des hommes, avec un vrai mari, et pas simplement quelqu’un qui prétend être un mari ou qui est simplement habillé comme un homme, pas des amants qui passent pour des sœurs ou une prétendue Mme qui vit avec un pensionnaire, pas des ménages comprenant trois femmes et un enfant. Pour les autorités de l’État, les foyers noirs étaient des maisons désordonnées, car ils étaient marqués par la promiscuité, la pathologie et l’illégalité, abritant des enfants sans nom et des étrangers, nourrissant une intimité en dehors des limites de la loi, non organisée par la dyade sexuelle et non dirigée par le père, et produisant des criminels et non des citoyens. Le foyer était le centre du danger ; il menaçait la reproduction sociale au lieu de l’assurer. Cet homme est-il votre mari ? Où est le père de votre enfant ? Ces questions pouvaient mener à l’asile ou à une maison de correction si on n’y répondait pas correctement. Avec une incroyable férocité, la surveillance de l’État et le pouvoir de la police agissaient pour façonner le foyer noir et réglementer la vie intime. L’affiliation et la parenté organisées selon des lignes alternatives, un maillage ouvert de possibilités, étaient suspectes et susceptibles d’engendrer des crimes. Le pouvoir discrétionnaire accordé à la police pour discerner la criminalité future allait avoir un impact énorme sur la vie sociale des Noir.e.s et sur la création du ghetto.
La plantation, le ghetto et la prison coexistaient ; un mode de confinement et d’enfermement ne remplaçait pas l’autre, mais prolongeait l’état de servitude, de violence et de mort sous une nouvelle forme. L’après-vie de l’esclavage s’est déroulée dans un couloir d’immeuble et a pris Esther Brown dans ses filets. En clair, le problème Nègre dans le nord [the Negro problem in the North] était l’arrivée de l’ex-esclave dans la ville, et la panique morale et les émeutes raciales qui éclatèrent dans tout le pays témoignent de la portée de la plantation et du statut durable du Noir en tant que vie fongible, éternel étranger et non-citoyen.
La plantation n’a pas été abolie, mais transformée. Le problème de la criminalité était la menace que représentait la présence des Noir.e.s dans la ville ; le problème de la criminalité était l’expérience sauvage de la liberté des Noir.e.s ; et les efforts pour gérer et réguler cette crise permettaient de solidifier et d’étendre la ligne de couleur qui définissait l’espace urbain, reproduisant l’apartheid désavoué de la vie quotidienne.
La violence d’État, l’incarcération et l’épuisement contrôlé définissaient le monde qu’Esther Brown voulait détruire. Cela faisait d’elle le genre de fille qui n’hésitait pas à tout casser.
Amour de contrebande
La lettre envoyée par son ex-mari ne précise pas si l’article a été publié dans la rubrique métro du Amsterdam News ou dans les New York City Briefs du Chicago Defender ou dans la section City News du New York Herald, auquel cas seules quelques lignes consacrées au quand, au où et au comment auraient été publiées, juste les faits bruts, peut-être accompagnés de statistiques documentant l’augmentation du taux de prostitution, ou le nombre croissant de jeunes femmes de couleur arrêtées pour racolage et violation de la Tenement House Law. Il ne s’agirait pas d’un titre tape-à-l’œil ou sensationnel comme “La soie et les lumières sont responsables de la mort d’une fille de Harlem” ou d’un article de tête sur la crise morale et la panique sexuelle fabriquées par les commissions des mœurs et les réformateurs urbains. Si les détails étaient particulièrement sordides, une colonne ou deux pouvaient être consacrées à la mort d’une jeune femme.
Tout ce que son ex-mari a dit, c’est qu’”une bouffée de tristesse et d’incrédulité l’avait envahi” alors qu’il essayait de comprendre comment son Esther, son bébé, avait pu être impliquée dans de tels problèmes. Il l’a encouragée à être une bonne fille et lui a promis de s’occuper d’elle lorsqu’elle sera libérée, ce qu’il n’avait pas fait pendant les quelques mois où ils ont vécu ensemble comme mari et femme dans la maison de sa mère. Maintenant qu’il était trop tard, il essayait d’être raisonnable. La lettre est postée sur du papier de bureau de l’armée et était remplie d’assurances de son amour, de promesses d’essayer d’être un homme meilleur et de plaidoyers pour qu’elle essaie de faire mieux. Tu ne vivras pas heureuse, prévient-il, jusqu’à la fin de ton monde sauvage. Il espérait qu’elle avait appris une leçon perdue depuis longtemps dans le monde sauvage de l’amusement et du plaisir.
La grand-mère et la sœur d’Esther ne savaient pas qu’elle avait été arrêtée jusqu’à ce qu’elles voient son nom dans le journal quotidien. Elles étaient incrédules. Ce n’était pas vrai. Ce n’était pas possible. N’importe qui à Harlem pouvait vous dire que les mouchards étaient payés pour mentir. Tout le monde savait que Krause travaillait pour les flics. Il aurait vendu sa propre mère pour un dollar. De plus, si quelqu’un était à blâmer pour les problèmes d’Esther, sa grand-mère pensait que c’était sa mère, Rose. Elle était jalouse de la jeune fille, surtout à cause de l’attention portée à Esther par les hommes qui vivaient dans les chambres louées de son appartement. Rose vit avec l’un d’entre eux comme son mari, bien que cette relation, soit, à proprement parler, en dehors des limites de la loi.
Lorsque Rose a appris la nouvelle de l’arrestation de sa fille, cela a confirmé ce qu’elle pensait : la fille allait avoir des problèmes. Un peu de temps à la campagne, sans courir les rues, pourrait la redresser, confie-t-elle à l’assistante sociale, donnant ainsi le coup de pouce qui décidera du sort de sa fille. Ce qui passait pour de l’intérêt maternel était une longue liste de plaintes sur la façon de vivre d’Esther. Rose déclare à l’agente de probation de couleur, Mademoiselle Campbell, que sa fille n’a “jamais travaillé plus de six semaines d’affilée et qu’elle ne reste généralement que quelques semaines à un endroit”. Elle ne voulait tout simplement pas rester en place ou garder un emploi. Elle avait un bon mari et elle l’a quitté. Elle était jeune et volage et ne voulait pas être liée à un seul mari. Qu’y avait-il de plus à dire ?
Les voisins ont raconté une histoire différente. La mère est celle qui a besoin d’être renvoyée. Tout le monde savait que Rose Saunders fréquentait l’un des hommes qui logeaient dans son appartement. “Quel genre d’exemple est-ce pour une fille ? Ce n’est pas le droit chemin.”
La lettre de la petite amie d’Esther ne ressemblait en rien à celle de son mari. Elle ne l’implorait pas d’être une bonne fille, ne la suppliait pas de laisser le monde sauvage derrière elle et ne lui demandait pas de suivre le droit chemin, mais lui rappelait tous les plaisirs qui l’attendaient lorsqu’elle recevra ses papiers de libération, dont l’amour d’Alice :
Chère petite fille, Juste quelques lignes pour te dire que tout va bien. Je suppose que tu penses que j’ai été stupide de quitter Peekskill mais je ne pouvais pas supporter le travail. J’ai pas été habituée à travailler aussi dur quand je quitte Bedford et pourquoi je le ferais alors que je n’y suis pas obligée, tu restes où tu es comme tu t’attends à vivre à New York quand tu seras libre….. Cela va te surprendre, je vais me marier le mois prochain, non pas que ca m’intéresse beaucoup, mais pour la protection. Je suis allé à New York dimanche et j’ai vu un certain nombre de vielleux ami.e.s et j’ai entendu tous les potins et même plus… New York est completement ouverte, il y a plein de choses de blanch.e.s et tout ce que tu veux, alors courage, il y a plein de bons moments qui t’attendes. Je dois donc conclure avec le même vieil amour et te souhaite bonne chance.
Il n’est pas certain qu’Esther ait eu la chance de lire la lettre d’Alice. Cette missive d’amour de contrebande a été saisie par les autorités pénitentiaires et incluse dans les rapports disciplinaires et les notes des réunions du personnel, augmentant ainsi le folio de documents qui formaient le dossier et invitaient à une plus grande punition.
Attitude : Elle a tendance à être maussade et défiante. Elle est arrivée à Bedford avec l’impression que c’était un très mauvais endroit et a décidé qu’elle ne laisserait aucune des matrones l’écraser”. Elle a dit : “Si elles continuent à lui crier dessus, elles verront que ce n’est pas une façon de traiter Esther Brown.” Et “Esther Brown ne va pas supporter ça.”
Note : La patiente est une fille de couleur avec une bonne mentalité qui a été gâtée [has had her own way] et a joui de beaucoup de liberté. L’influence de sa famille et de son environnement a été mauvaise. Elle est le type hyperkinétique qui a besoin continuellement d’activité et d’amusement.
Émeutes et refrain
Les journalistes s’intéressaient surtout à ce qui était arrivé aux filles blanches. Ruth Carter, Stella Kramer, et Maizie Rice sont les noms qui apparurent dans les journaux. Ruth fut la première à raconter à la Commission des Prisons d’Etat [State Prison Commission] les choses terribles qui leur étaient faites à Bedford Hills : elles ont été menottées dans les cellules de Rebecca Halls, elles ont été déshabillées et bâillonnées avec des chiffons sales et du savon dur, elles ont été battues avec des tuyaux en caoutchouc et menottées à leurs lits, elles ont été suspendues aux portes de leurs cellules, leurs pieds atteignant à peine le sol, elles ont subi le “traitement à l’eau” et leur visage a été immergé dans l’eau jusqu’à ce qu’elles puissent à peine respirer, et elles ont été isolées pendant des semaines et des mois derrière les doubles portes des cellules du bâtiment disciplinaire. La double porte empêchait toute lumière d’entrer et le manque d’air rendait insupportable l’odeur de la chambre noire, de leurs déchets et de leurs corps sales et non lavés. La puanteur, la privation sensorielle et l’isolement étaient destinés à les briser.
Il y avait deux cent soixante-cinq détenues et vingt et un bébés. Les jeunes femmes sont âgées de quatorze à trente ans et la majorité sont des filles de la ville exilées à la campagne pour une réforme morale. Elles venaient de tenements surpeuplés. Quatre-vingt pour cent des jeunes femmes de Bedford avaient été soumises à une forme de punition — enfermées dans leur chambre pendant une semaine, enfermées dans les cellules du Rebecca Hall, enfermées dans le bâtiment disciplinaire. Même la Commission des Prisons d’État a dû admettre que c’était une punition cruelle et inhabituelle. Ce n’était une maison de redressement que de nom et ses mesures disciplinaires n’avaient rien de moderne ou de thérapeutique. Lorsqu’on lui a demandé si le fait de suspendre les filles, de les menotter et de les battre avec des tuyaux d’arrosage était abusif, une matrone a répondu : “Si vous ne les réprimez pas ou ne les dirigez pas d’une main de fer, vous ne pouvez pas vivre avec ces gens”. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas mentionné ces punitions, la directrice de la prison, Mlle Helen Cobb, a répondu qu’elle n’avait pas mentionné ces pratiques parce qu’elle les considérait comme des “traitements” et non comme des punitions.
Les plus petites infractions donnaient lieu à des punitions sévères : une plainte au sujet du dîner, une feuille de papier à lettres trouvée sous un matelas ou une danse obscène pouvaient être sanctionnées par une semaine d’enfermement dans la chambre, de confinement dans le Rebecca Hall ou de déshabillage et d’attachement à une porte de cellule dans le bâtiment disciplinaire. Les filles noires étaient plus susceptibles d’être punies et d’être punies plus sévèrement.
Loretta Michie est la seule fille de couleur citée dans l’article du journal. Les autorités pénitentiaires n’apprécient pas que les détenues soient nommées. Cela a alimenté l’hystérie publique concernant les abus et a donné un visage et une histoire à ces atrocités. Loretta et plusieurs autres femmes noires témoignèrent devant la Commission des prisons d’État de la façon dont Mlle Cobb et Mlle Minogue les traitaient. C’est peut-être parce que la jeune fille de seize ans avait des cheveux bouclés, des yeux marron foncé et un joli visage qu’elle a attiré l’attention des journalistes et les a incités à enregistrer son nom. Peut-être que c’était son récit imagé de la brutalité qui a rendu ses paroles plus dignes d’intérêts que celles des autres. A-t-elle décrit de manière plus vivide la solitude totale du donjon, ce que l’on ressentait lorsqu’on était coupée du monde et rejetée à nouveau, et que dans l’obscurité, crier et entendre les voix des autres était votre ligne de vie ; ou comment votre cœur s’emballait parce que vous aviez peur de vous noyer, même si vous saviez que ce n’était qu’un seau d’eau, mais merde ça aurait tout aussi bien pu être l’Atlantique. La lutte pour respirer a repris. Combien de temps pouvait-on vivre sous l’eau ? Le monde est devenu noir et quand tes yeux se sont ouverts, tu étais échouée sur le sol sombre d’une cellule d’isolement. Le corps suspendu à la porte d’une cellule voisine était-il aussi le tien ? La douleur qui se déplaçait et se découpait sur le corps était-elle partagée par toutes celles qui étaient enfermées dans les dix cellules de la D.B. ? Le journal a donné une description très succincte : Loretta Michie a témoigné qu’elle avait été “menottée aux barreaux de sa cellule, le bout de ses orteils touchant le sol, pendant si longtemps qu’elle est tombée quand on l’a libérée”. Elle a également noté que les filles de couleur étaient affectées aux pires tâches dans la cuisine, la buanderie et l’unité psychiatrique.
D’autres femmes ont rapporté qu’elles avaient été déshabillées et attachées nues à leur lit, qu’elles avaient été nourries de pain et d’eau pendant une semaine, qu’elles avaient été suspendues dans leur cellule et qu’elles n’avaient même pas le droit de toucher le sol avec leurs orteils. Esther aussi aurait pu leur parler de Rebecca Hall ; comme Loretta Michie, elle avait été enfermée dans le bâtiment disciplinaire à plusieurs reprises ; elle aurait pu leur raconter que Peter Quinn et les autres avaient giflé et frappé les filles si on lui avait demandé de comparaître. Mais Peter Quinn n’avait besoin de personne pour témoigner contre lui. Il était l’un des rares gardiens à reconnaître certaines des choses terribles qu’il avait faites, principalement pour donner une mauvaise image de Mlle Cobb. De son propre aveu, il a aidé à pendre des filles une centaine de fois. C’est lui qui “a montré à Mlle Minogue comment menotter d’abord une fille à la cloison de la cellule, les mains derrière elle, et qu’il sait qu’à ce moment-là les pieds étaient toujours entièrement sur le sol”. Sous la direction de Mlle Minogue, la pratique “s’est juste développée” pour les soulever un peu plus haut.
En décembre 1919, les femmes du Lowell Cottage firent entendre leur voix, même si personne ne voulait les écouter. Lowell, Flowers, Gibbons, Sanford et Harriman étaient les cottages réservés aux prisonnières noires. Après qu’un scandale concernant les relations sexuelles interraciales et “l’intimité néfaste” ait éclaté en 1914, la ségrégation avait été imposée et les cottages triés par race ainsi que par âge, statut, dépendance et capacité. Une disposition spéciale de la Charities Law permettait à l’État de pratiquer la ségrégation raciale tout en se protégeant contre les actions en justice qui accuseraient de telles pratiques d’être inconstitutionnelles et constituant une violation des lois sur les droits civils de l’État.
Le journal décrit le bouleversement et la résistance du Lowell Cottage comme une révolte sonore, une “protestation bruyante” [noise strike], le “vacarme d’un chœur infernal”. Collectivement, les prisonnières en avaient assez de la violence gratuite et d’être punies pour des broutilles, elles cherchaient donc à se venger par le bruit et la destruction. Elles ont jeté leurs matelas, elles ont cassé des fenêtres, elles ont allumé des feux. Presque tout le monde dans le cottage criait et hurlait à qui voulait l’entendre. Elles frappaient les murs avec leurs poings, trouvant un rythme commun et régulier qui, espéraient-elles, pourrait renverser le cottage, faire s’écrouler les murs, briser les lits de camp, détruire la maison de correction afin qu’elle ne soit plus jamais capable de détenir une autre “fille innocente dans la prison”. Le “chœur hurlements criards” protestait contre les conditions de la prison, insistait sur le fait qu’elles n’avaient rien fait pour justifier l’enfermement ; elles refusaient d’être traitées comme si elles n’étaient pas humaines, comme si elles étaient des déchets. Le New York Times a rapporté : “Le bruit était assourdissant. Presque toutes les fenêtres du cottage étaient bondées de femmes noires qui criaient, se mettaient en colère et riaient de façon hystérique. Le vacarme assourdissant qui émanait du cottage a frappé les oreilles des enquêteurs avant même qu’ils n’arrivent en vue du bâtiment.” Les chants et les cris étaient le vecteur de la lutte.
Le chœur a parlé d’une seule voix. Elles ont toutes crié et pleuré sur l’injustice de leur condamnation à Bedford, de leur arrestation dans un coup monté, des trois années de vie volées. N’étaient-elles rien ou personne ? Pouvaient-elles être saisies et rejetées et personne au monde ne s’en soucierait ou même s’en préoccuperait ? Harriman, Gibbons, Sanford et Flowers étaient-ils aussi en colère ? Un mois après que Mlle Minogue l’a étranglée, frappée à la tête avec un trousseau de clés et battue avec un tuyau en caoutchouc, Mattie Jackson rejoint le chœur. En pensant à son fils et à la façon dont il grandissait sans elle, elle s’est mise à lamenter et à crier plus fort. Ni elle ni les autres n’imaginaient que leurs appels et leurs plaintes seraient entendus à l’extérieur du cottage ou que les conclusions de la Commission des prisons de l’État de New York feraient une différence pour elles. Cette émeute, comme celles qui l’ont précédée et celles qui suivront, n’était pas inhabituelle. Ce qui était inhabituel, c’est que l’émeute ait été signalée. L’enquête de l’État sur les abus et la torture dans la maison de correction fit de l’émeute des femmes de couleur un sujet d’actualité.
Loretta, ou Mickey comme l’appelaient certains de ses amis, frappait les murs, mugissait, jurait et hurlait. À quatorze ans, avant d’avoir ses premières règles, avant d’avoir un amant, avant d’écrire des vers comme “sweetheart in my dreams I’m calling you”, Mickey a mené une petite bataille contre la prison et cette maudite police et les matrones et les agents de probation et les travailleurs sociaux. Elle ne voulait pas prétendre que ses gardien.ne.s étaient autre chose que des gardien.ne.s. Les cottages n’étaient pas des foyers [homes]. Mlle Cobb n’en avait rien à faire d’elle et Mlle Minogue était une voyou en jupe. Les matrones étaient des brutes et n’étaient pas là pour les guider, les conseiller ou les aider à améliorer leur vie, mais pour gérer et contrôler, punir et faire du mal. Elles vous faisaient savoir ce qu’elles pensaient : vous étiez trop bien traité et chaque punition cruelle était méritée et le seul moyen de communiquer avec les détenues, surtout les filles de couleur. Mlle Dawley, la sociologue, les a interrogées. Elle posait des questions et notait tout ce qu’elles disaient, mais sa recommandation était toujours la même : la prison est le seul endroit pour elle.
Mickey s’est rebellée sans savoir les choses horribles que le personnel de la prison disait d’elle lors de leurs réunions — elle était simple d’esprit et menteuse, elle avait une trop haute opinion d’elle-même, “elle avait été avec un bon nombre d’hommes”. Le psychologue, le docteur Spaulding, a dit qu’elle essayait de paraître jeune et innocente, mais qu’elle ne l’était clairement pas. Était-il possible qu’elle n’ait que quatorze ans ? Mlle Cobb a tranché la question : “Supposons qu’elle ait dix-huit ans.” Tout le monde pensait que la prison était le meilleur endroit pour une jeune femme noire sur un chemin errant.
Rester dehors toute la nuit à un bal avec ses amis ou voler 2 dollars pour acheter une nouvelle robe afin de pouvoir se produire sur scène était un motif suffisant pour l’interner. Mickey jurait, tapait du poing sur le mur et refusait de s’arrêter, quelle que soit sa fatigue. Elle se moquait qu’on la jette dans le bâtiment disciplinaire tous les jours, elle ne cesserait jamais de se battre, elle ne se soumettrait jamais.
Rapport disciplinaire : Très énervante. Elle a été à Rebecca Hall et au bâtiment disciplinaire. Punie continuellement. Amitié avec les filles blanches.
Elle avait été au bâtiment disciplinaire plus de fois que son dossier disciplinaire ne le révélait. À Rebecca Hall, elle a comploté et incité les autres filles à l’émeute et au désordre. Elle était fière d’avoir été la cause de nombreux problèmes pendant toute la durée de son séjour à Bedford. Lorsqu’elle était confinée dans les bâtiments de la prison, elle parvenait à envoyer quelques lettres à sa petite amie. La lettre d’amour saisie par la matrone a été écrite au crayon sur du papier hygiénique parce qu’elle n’avait pas le droit d’utiliser un stylo et du papier en détention. La missive adressée à sa petite amie Catherine fait référence aux émeutes précédentes de 1917 et 1918 et exprime l’esprit de rage et de résistance qui a alimenté l’action de décembre à Lowell :
Je suis tellement dégoûté par ces p — ain de flics que je pourrais les tuer. Ils peuvent diriger Bedford et certain.e.s des minables de Bedford, mais ils ne dirigeront jamais Loretta Michie….. Ça ne paye pas d’être une bonne fille dans ce genre d’endroit, mais je ne regrette rien de ce que j’ai fait. J’ai été en prison (Rebecca Hall) trois fois et le bâtiment disciplinaire une fois et je pourrais y retourner bientôt et quelques autres et moi-même, on a toujours eu le sale rôle. Chaque fois que la prison se rebellait [would cut up] en 1918 ou 1917, lorsque la police arrivait, qu’on était en train de se rebeller ou non, on [y] était….. Ils nous pendaient toujours ou nous mettaient dans les draps de l’escalier, mais on en faisait quand même qu’à notre tête. C’était l’époque où J.M. [Julia Minogue] était gardée nuits et jours, on attendait qu’elle se couche vers 1 heure du matin, puis on commençait, puis on se calmait vers 4 heures et on recommençait vers 8 heures du matin….. Puis il y avait un bon groupe [gang] ici, alors on pourrait récupérer ces jours-là “si” seulement, on avait les femmes, mais on les a pas, alors pourquoi s’embêter….. Je n’ai plus qu’un jour à passer, mais quand on a eu autant de punitions que moi, ça t’dérange pas. Bon, les lumières s’éteignent, alors bonne nuit et faites de beaux rêves. Loyalement tienne, Black Eyes ou Mickey
Le Lowell Cottage résonnait de bruits d’agitation et de révolte. Elles ont brisé les fenêtres. Les fenêtres brisées reliaient le désordre de la prison au ghetto, expliquait le sociologue dans une conférence sur la culture de la pauvreté. Les lueurs et les éclats de verre brisé sont le langage de l’émeute. Les meubles ont été détruits. Les murs défigurés. Des incendies ont été allumés. Comme Esther Brown, Mickey n’a pas hésité à tout casser. Les compagnons de cottage ont crié et hurlé et juré pendant des heures. Chaque voix se mêlait aux autres dans une langue commune. Chaque énoncé et chaque cri mettait en évidence la vérité : l’émeute était le seul remède à portée de main.
C’était la musique dangereuse du bouleversement. En masse, elles annonçaient ce qu’elles avaient enduré, ce qu’elles voulaient, ce qu’elles avaient l’intention de détruire. Les braillements, les cris et les jurons faisaient trembler le cottage et les rassemblaient en une grande formation palpitante, un ensemble se délectant de la beauté de la grève. Les jeunes femmes qui s’accrochaient aux fenêtres, se pressaient aux portes et se blottissaient sur les lits partagés sonnaient comme une révolution complète, un bouleversement de l’ordre établi, un renversement et une refonte des valeurs, qui mettait en crise la propriété, la loi et l’ordre social. Elles ont cherché la réhabilitation [redress] entre elles. L’appel [call] et l’attrait [appeal] les ont transformées de prisonnières en émeutières, de détenues en fugitives, ne serait-ce que pour treize heures. Dans l’assemblée discordante, elles ont trouvé une écoute mutuelle.
Le bruit noir [black noise] émanant de Lowell Cottage exprimait leur rage et leur désir. Il rendait manifeste la rébellion latente qui couvait sous la surface des choses. Il fournissait le langage dans lequel “elles se lamentaient à tue-tête sur leur sort et sur ce qu’elles appelaient l’injustice de leurs gardiens”. Pour celleux qui n’étaient pas dans le cercle, c’était un vacarme sans mélodie ni centre. Le New York Times a eu du mal à choisir parmi les titres sensationnels qu’il devait utiliser pour son article, il en a donc choisi trois : “Le chœur du diable chanté par des filles émeutières.” [Devil’s Chorus Sung by Girl Rioters.] “Bedford entend des cris et des grincements mélangés, suggérant un enfer réglé sur du jaz[z].” [Bedford Hears Mingled Shrieks and Squeals, Suggesting Inferno Set to Jaz[z]] “Débordement purement vocal.” [Outbreak Purely Vocal] À quoi ressemblait exactement l’Enfer de Dante transposé dans une suite de jazz ? Pour le monde blanc, le jazz était synonyme de son primitif et de modernisme sauvage. C’était l’énergie et l’excitation brutes, le non-sens et le jargon, le discours vide, l’excès, le désir charnel : c’était de l’argot pour la copulation et ça évoquait le désordre social et l’amour libre plutôt que la composition ou l’improvisation.
You can take my tie
You can take my collar
But I’ll jazz you
Till you holler
Le tumulte et le bouleversement sonore — la résistance en tant que musique devait être interprétée comme du jazz. C’était le seul cadre permettant de rendre lisibles leurs propos. Au sens le plus élémentaire, les sons émanant de Lowell étaient la musique libre de celles qui étaient en captivité, la philosophie de l’abolition exprimée au sein de ce cercle. Si la liberté et la création mutuelle définissaient la musique, elles définissaient également la grève et l’émeute menées par les prisonniers de Lowell. Le “Reformatory Blues” [blues de maison de correction], une étiquette facile inventée par les quotidiens pour décrire le refus collectif des conditions de détention, était filtré par Dante à travers Ma Rainey et Buddy Bolden. Leurs propos étaient marqués par la longue histoire du son radical noir — cris et beuglements, hurlements et braillements, sorrow songs et blues. C’était la bande sonore d’une histoire qui faisait mal.
Les chants et les cris ont s’échappait des confins de la prison, même si leurs corps n’y sont pas parvenus : “Presque toutes les fenêtres [du cottage] étaient encombrées de femmes nègres qui criaient, pleuraient et riaient hystériquement.” Peu de personnes en dehors du cercle comprenaient les ressources profondes de ces cris et de ces pleurs. L’héritage esthétique du “jargon et du non-sens” n’était rien d’autre qu’une philosophie de la liberté qui remontait aux chants d’esclaves et aux danses du cercle — la lutte et la fuite, la mort et le refus devenaient musique ou gémissement ou bruit joyeux ou son discordant.
Pour celles qui faisaient parties dans ce cercle, chaque gémissement et chaque cri, chaque malédiction et chaque hurlement insistait que le temps de l’esclavage était fini. Elles étaient fatiguées d’être maltraitées et confinées, et elles voulaient être libres. Ces mots exacts se trouvaient dans les lettres écrites par leurs mères, maris et petites amies : “Je vous l’dis, Mlle Cobb, les gens d’couleur on est plus des esclaves.” [I tell you Miss Cobb, it is no slave time with colored people now] Elles auraient toutes pu crier : C’plus l’esclavage maintenant [No salve time now]. Abolition maintenant. Dans l’absurdité surréaliste et utopique de tout cela, et au cœur de l’émeute, se trouvait l’anarchie des filles de couleur : la trahison en masse, le tumulte, les rassemblements, la collaboration mutuelle requise pour affronter les autorités pénitentiaires et la police, la volonté de se perdre et de devenir quelque chose de plus grand — un chœur, un essaim, un ensemble, une société d’entraide. Au lieu d’une explication ou d’un appel, elles ont crié, piétiné et hurlé. Comment pouvaient-ils exprimer autrement leur désir d’être libres ? Comment pouvaient-ils exprimer autrement leur refus d’être gouvernés ?
Les étrangers [outsiders] ont décrit ce vacarme comme un chant du cygne, pour signaler que leur défaite était certaine et qu’elles retourneraient à leur ancien état de prisonniers sans voix dans le monde et à qui on pouvait faire n’importe quoi. Il n’y avait pas grand-chose de lugubre dans les chants et les malédictions, les hurlements et les cris. Cette expression collective n’était pas un chant funèbre. Alors qu’elles s’entassaient aux fenêtres du cottage, certaines traînant aux alentours et d’autres jetant un coup d’œil par les coins, la musique dangereuse de la vie noire se déchaînait de l’intérieur de l’espace de captivité, une énonciation polyphonique rauque qui sonnait belle et terrible. Avant que l’émeute ne soit réprimée, sa force a touché tout le monde dans l’enceinte de la prison et aussi loin que les immeubles, les chambres louées et les logements délabrés de Harlem, Brooklyn et Staten Island.
Le bruit transmettait la défaite et l’aspiration, la beauté et la misère qui étaient autrement inaudibles aux oreilles du monde ; il révélait une sensibilité en contradiction avec le réalisme brutal de l’institution. Que faire de l’élan utopique qui leur permettait de croire que quelqu’un se souciait de ce qu’elles avaient à dire ? Qu’est-ce qui les a convaincus que la force de leur énonciation collective était capable de tout changer ? Qu’est-ce qui les a poussés à créer un réservoir de vie dans le cadre de la mort imposée par la prison ? Qu’est-ce qui les rendait infatigables ? Le mois suivant, les prisonnières enfermés dans Rebecca Hall ont mené une nouvelle grève du bruit. “Les prisonnières ont commencé à faire claquer les portes de leurs cellules, à jeter des meubles contre les murs, à crier, à chanter et à proférer des injures”. De l’avis d’une de celles qui faisaient du bruit, “le mélange de sons, ‘Reformatory Blues’ [blues de maison de correction], peut encore faire un tabac à Broadway, même si les officiel.le.s semblent mépriser le jazz”. Elles ont continué toute la nuit dans le bâtiment de la prison. Elles se sont révoltées à nouveau en juillet, août et novembre.
Les chants et les cris ont insisté : On veut être libres. La grève a soulevé la question : Pourquoi on est enfermées ici ? Pourquoi vous avez volé nos vies ? Pourquoi vous nous battez comme des chiennes ? Vous nous affamez ? Vous nous arrachez les cheveux de la tête ? Vous nous bâillonnez ? Vous nous matraquez sur la tête ? Ce n’est pas juste de prendre nos vies. Personne ne mérite d’être traité comme ça.
Tout ce que celleux qui écoutaient de l’extérieur pouvaient discerner était : “des rafales de cris, des ouragans de hurlements, des cyclones de rage, des tornades de beuglements.” Les sons ont cédé la place à “un chœur du diable ébouriffant et éprouvant pour les oreilles”. Celles qui se trouvaient à l’intérieur du cercle écoutaient l’amour et la déception, le désir et l’indignation qui alimentaient cette expression collective. Elles ont canalisé les peurs et les espoirs de ceux qui les aimaient, les mauvais rêves et les cauchemars d’enfants volés par les hommes blancs et perdus en mer. Les refrains étaient imprégnés de tous les beaux projets de ce qu’ils feraient une fois libres. Ces sons voyageaient dans l’air de la nuit.
Les voix dans le chœur
Cette histoire spéculative d’Esther Brown est basée sur la “Déclaration de la fille”, les entretiens avec les membres de sa famille, l’histoire vérifiée, la correspondance personnelle et institutionnelle, les notes des réunions du personnel trouvées dans le Bedford Hills Correctional Facility, 14610–77B Inmate Case Files, Records of the Department of Correctional Services, New York State Archives. Les Archives de l’État de New York ont exigé que les noms des prisonniers soient modifiés afin de préserver la confidentialité des documents. Voir les dossiers des détenus n° 2507, 2503, 2466 et 4092. Les dossiers de la prison de Bedford sont très détaillés, en particulier jusqu’en 1920, lorsque le Laboratory of Social Hygiene [Laboratoire d’hygiène sociale] a mené des entretiens approfondis avec les filles et les femmes à leur arrivée. Le processus d’admission comprenait des entretiens personnels, des histoires familiales, des entretiens avec des voisins, des employeurs et des enseignants, des tests psychologiques, des examens physiques, des tests d’intelligence, des rapports d’enquêteurs sociaux, ainsi que des rapports d’agents de probation, des bulletins scolaires, des lettres d’ancien.ne.s employeur.euse.s et d’autres documents de l’État (provenant d’écoles de formation et d’orphelinats). Après une évaluation de deux semaines des documents compilés, des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux, des sociologues et des directeurs de prison se réunissent pour discuter de chaque cas individuel. L’idée de l’indétermination des peines était fondée sur la notion que la punition devait être adaptée aux besoins de chaque détenu. Dans la pratique, cela s’est traduit par des peines allant jusqu’à trois ans pour des infractions de statut [status offenses] et la probabilité d’un crime futur. Les dossiers contiennent de la correspondance personnelle, des discussions sur l’histoire sexuelle, les expériences de vie, le contexte familial, les loisirs, ainsi que des poèmes et des pièces de théâtre écrits par les prisonnières. Le dossier de cas visait à produire une connaissance approfondie de l’individu dans un genre qui combinait l’enquête sociologique et la fiction littéraire, créant ainsi un portrait statistique des jeunes femmes. L’importance du dossier était cruciale pour la réforme des prisons et l’idée que la probation, la punition et la libération conditionnelle doivent être adaptées individuellement à chaque délinquant ; cette approche favorisait les peines indéterminées. En pratique, cela signifiait que pour des infractions de status et la probabilité d’une criminalité future ou la probabilité de devenir moralement dépravée, une jeune femme pouvait passer trois ans confinée à Bedford et être empêtrée dans le système de justice pénale et sous la surveillance de l’État pendant une décennie de sa vie. L’affaire était fondée sur une herméneutique du soupçon et un horizon de réforme. C’était un produit exemplaire de l’État thérapeutique.
Sources:
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- Laisser-aller et oisiveté: Marx, Karl. 2011. Manuscrits de 1857–1858 dits Grundrisse. Éditions Sociales.
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- L’idée même du travail: Récit tiré de “Information concerning the Patient,” 12 août, 1917; “Information concerning the Patient,” 15 sptembre, 1917. Bedford Hills Correctional Facility. Inmate case files. Series 14610–77B. Records of the Department of Correctional Services, New York State Archives, Albany. Bedford Hills Case File # 2507.
- Confié leurs précieuses têtes blondes: Hapgood, Hutchins. 1909. An Anarchist Woman. New York: Duffield, p. 40.
- Comme un essaim ou la houle d’un océan: DuBois a décrit l’action collective de la grève générale comme un essaim ou une houle. Voir DuBois, W. E. B. 1998. Black Reconstruction in America, 1860–1880. New York: Simon and Schuster.
- Toutes les modalités chantaient une partie: de Certeau, Michel. 1984. L’invention du quotidien. Vol. 1, Arts de faire.
- La carte des peut-être, des probables et des potentiellement: Hartman, Saidiya. 2008. “Venus in Two Acts.” Small Axe 12, no. 2: 1–114; Taylor, Ula. 2006. “Street Strollers: Grounding the Theory of Black Women Intellectuals,” Afro-Americans in New York Life and History 30, no. 2: 153–71; Cervenak, Sarah. 2015. Wandering. Durham, NC: Duke University Press, p. 2; Bruno, Giuliana. 1993. Streetwalking on a Ruined Map: Cultural Theory and the City Films of Elvira Notari. Princeton: Princeton University Press.
- l’ouverture est une autre façon de penser au tumulte, au bouleversement et à la pratique radicale de la vie quotidienne. C’est aussi une référence à la pratique révolutionnaire des esclavagisé.e.s.
- De tout péter: “Notes of the Staff Meeting.” “C’est le genre de fille qui n’hésiterait pas à défoncer.” 29 septembre, 1917. Bedford Hills Case File # 2507. “Les indisciplinés qui brisent les fenêtres et les meubles,” dans Twenty-Sixth Annual Report of the State Commission of Prisons, March 12, p. 93. Ossining: New York State Commission of Prisons; Sur les jeunes femmes qui “cassent et crient,” voir Twenty-Sixth Annual Report, p. 94.
- C’était l’offrande: Brooks, Gwendolyn. 1993. Maud Martha: A Novel. Chicago: Third World Press, p. 22.
- Avait essayé de la tuer et avait échoué: Clifton, Lucille. 2012. “Won’t you celebrate with me,” dans Collected Poems of Lucille Clifton 1965–2010. New York: BOA.
- Mettre les choses en relation: Scarry, Elaine. 1999. On Beauty and Being Just. Princeton: Princeton University Press, p. 30.
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- Refusaient de travailler: Des filles de quatorze à vingt et un ans, mais parfois dès l’âge de douze ans, étaient condamnées à des maisons de correction parce qu’elles se trouvaient dans une maison de mauvaise réputation ou soupçonnée de prostitution, ou parce qu’elles avaient des amis ou des voisins voleurs ou prostitués, ou parce qu’elles fréquentaient des voyous et des criminels, ou parce qu’elles avaient des relations sexuelles légères.. Voir Hicks, Cheryl. 2010. Talk with You Like A Woman. Chapel Hill: University of North Carolina Press, p. 184.
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- Vacarme d’un chœur infernal: “Girls on ‘Noise’ Strike.” 1920. New York Times, 25 janvier.
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- Semblent mépriser le jazz: “Girls on Noise Strike.” 1920. New York Times, 25 juillet.