Français d’Algérie = Israël — J. Presly (Noir et Rouge N2, été 1956)

riot
5 min readMar 26, 2024

--

« Vive le FLN ! », manifestation du 12 décembre 1960, Alger. — Keystone Pictures USA / Alamy Stock Photo

Texte publié en 1956, au milieu de la Révolution algérienne et avant la Guerre du Sinaï, par le journal communiste libertaire Noir Et Rouge. On y trouve une critique du progressisme, une critique des utopies coloniales, et une comparaison de différents efforts coloniaux.

Il est évident certes :

1)

Que la clique dictatoriale égyptienne n’utilise l’hostilité à l’Israël que comme dérivatif à ses difficultés internes.

2)

Que l’U.R.S.S. n’appuie les états arabes que pour de grosses raisons de stratégies et de propagandes mondiales, la clientèle de 60 millions d’arabes, voire de 500 millions de musulmans, est préférable à celle d’un million et demi d’israéliens ou de 5 millions de juifs.

Ceci dit, il n’empêche que, d’un point de vue anarchiste aussi, les israéliens ne valent pas mieux que les français d’Afrique du Nord.

Collectivités humaines de même importance, d’origine voisine et vivant dans des conditions semblables.

D’abord, comme toutes collectivités humaines, elles ont droit à notre fraternité.

Parmi les français d’Afrique du Nord comme parmi les juifs d’Israël, il y a beaucoup de travailleurs, pas mal de parasites, encore plus de gens qui travaillent dur à des activités parasitaires.

Européens implantés en pays arabe depuis 2 ou 3 générations, ils ont apporté les méthodes techniques modernes dans des pays médiévaux. Les modes modernes d’exploitation du sol comme d’exploitation de l’homme.

Une société dans sa presque totalité urbaine dans un pays qui n’avait pas de grandes villes, pas de réseau de communication, pas d’industrie. Une agriculture mécanisée et spéculative dans des régions traditionnellement vouées au nomadisme pastoral et a l’économie de subsistance. Une économie d’échange liée au commerce mondial et ne s’étant maintenue par lui, que par l’existence du marché et du soutien économique français pour l’Afrique du Nord, que par l’appui financier de la communauté juive mondiale et surtout américaine pour Israël.

En un mot, la société capitaliste dans une société tribale et féodale.

Cela n’équivaut pas nécessairement à un progrès humain.

Nous n’avons jamais cru à la nécessité objective de passer par toutes les formes d’exploitation possible pour arriver au socialisme.

La liberté du nomade est un mythe aussi séduisant que celle de l’aventurier, du pionnier partout pour les “terres vierges”.

Et de même qu’il n’est pas plus question de retourner à la vie libre des grands pasteurs qu'à celle du communisme primitif des cavernes, nous voyons aujourd'hui plus clairement que jamais combien le mythe du “pionnier” est vrai et faux, utopique.

Simplement parce que le monde est fini, fermé.

Toutes les Icaries d’Amérique toutes les colonies de Doukhobores, de Caucasie, de Silésie, du Canada ont échoué et échoueront comme échoueront les Kibboutz.

Il est délicat de construire la société nouvelle dans la coquille de l’ancienne, mais le paradoxe est de construire la nouvelle comme bouclier de l’ancienne.

Une minorité d’avant-garde, servant de rempart au monde du profit, c’est quand même précaire à tous points de vue. Tolérée en tant qu’unité infinitésimale, qu’association de “cinglés” utiles isolés du reste de la population. Tolérée tant qu’il s’agira de protéger les frontières du capitalisme.

Tant de braves gens de bonne volonté — à côté des entrepreneurs avides — proscrits volontaires ou non. Ouvriers de Juin 48, opposants du 2 Décembre, Alsaciens-Lorrains en Algérie ; rescapés des pogromes, des ghettos et des camps de la mort en Israël.

Tous se sont donnés un mal de chien pour créer un peu plus de bonheur, ont irrigué, fertilisé des terres ? Oui ! Bravo ? Non !

Tous leurs efforts de sueur et de sang, de patience et de ténacité n’effaceront pas les liens qui les attachent à ce qui est plus : au système qui leur a permis cela, qui leur a fourni ces terres acquises par toutes les formes juridiques de la spoliation. Ce système c’est

[….]

Un barrage ne fait pas le socialisme et mille barrages non plus.

Un hectare pris sur le “ désert” ne fait pas la civilisation meilleure, ni mille hectares.

Ces routes, ces villes, ces champs, ces écoles, des récoltes ont la valeur qu’ils ont chez nous ni plus ni moins. C’est la société moderne où nous vivons avec tous ses espoirs et toutes ses tares.

Mais le drame commence parce que Israël exclut les arabes comme l’Algérie française exclut les mêmes arabes.

Parce que la société la plus évoluée — exploiteurs et exploités — se juxtapose à l’autre — exploiteurs en exploités — et repousse l’ancienne. Pire : l’ignore, surtout si (et la mécanisation le permet) l’agriculture comme l’industrie peut se parer de main d’œuvre indigène.

L’indigène est là, à côté. Témoin.

Témoins ces arabes chassées de leur pâturage d’hiver des plaines de l’Oranie repoussés dans les montagnes.

Témoins des centaines de milliers de Kabyles affluant dans les bidonvilles. Les Européens ont éteint les foyers d’endémies et d’épidémies trop dangereux pour le monde et les montagnards sont de plus en plus nombreux à rester en vie — bien que sans travail possible.

Témoins, ces 700.000 arabes (autant que de juifs armés) chassés d’Israël parqués dans des camps.

Témoins des citoyens de seconde zone que sont les 150.000 arabes restés en Israël.

Aujourd’hui, on comprend que les seules colonisations ayant réussi depuis I Siècle et demi sont celles qui ont préalablement détruit physiquement l’indigène.

Achat par l’État américain des scalps d’Indiens.

Chasse à l’homme systématique en Tasmanie

Réserves indiennes des États-Unis.

Déjà les réserves bantoues, en Afrique du Sud, laissent prévoir l’échec Inévitable de l’”Apartheid”.

Pas plus que les Anglo-Boers, les Français du Maghreb, ni les juifs d’Israël ne pourront avaler un continent.

Les jours sont comptés de ces annexes de la civilisation européenne qui ne peuvent s’affirmer que par la négation des autres formes sociales et nationales.

Nous n’allons pas regretter leur règne éphémère.

J. PRESLY.

Dès le début du mandat britannique, les Arabes se sont opposés aux plans visant à diviser leur pays entre eux et les immigrants juifs. Après la guerre, ils ont refusé de coopérer avec les membres de l’ONU chargés de préparer le plan, qui ont continué à le rédiger en coordination avec les dirigeants sionistes. Cette procession politique […] s’est terminée le lendemain par des violences et des représailles mutuelles qui ont rapidement dégénéré en ce qui a été dépeint et traité comme une guerre.
Mamila neighborhood, al-Quds/Jerusalem, manifestations du 1er Décembre 1947 contre la résolution 181 de l’ONU et le plan de partition de la Palestine.

--

--

riot

Anti-authoritarian thoughts and post-identity politics. Original texts, translations and archives in French, English and Spanish. @riots_blog