Le racisme est un système qui se définit d’abord par la production de races, et leur hiérarchisation. Il n’est pas toujours aisé de discuter le concept de race, d’autant plus dans un pays comme la France ou la suprématie blanche fonctionne de façon diffuse et peu apparente (Color blind, ”aveugle a la couleur”, comme disent les théoricien.ne.s du racisme). Pour aborder cette question et la rendre plus visible, je prendrais la question à revers en me demandant ce que c’est qu’être Blanc et comment la blanchité opère.
Theodore Allen explique dans son “Invention de la race blanche”, comment la blanchité fut utilisé par les élites coloniales Nord Américaines comme une technologie de contrôle social, afin d’éviter une organisation de classe entre les esclaves et les prolétaires blancs. Cette situation américaine est plutôt typique d’un colonialisme de peuplement. Le colonialisme français, ne s’est pas partout développé comme tel. À tel point que dans les colonies caribéennes les blancs étaient en très large minorité et qu’il n’a jamais été question d’instaurer un prolétariat venant du continent européen sur ces iles. La blanchité métropolitaine s’est donc formée autour d’un racisme d’élite, tandis que les classes populaires n’avaient connaissance des Noir.e.s qu’à travers la circulation massive de corps noirs dans les ports français jusqu’aux Amériques, ou plus tard des spectacles et autres zoos humains. Autant dire que l’exotisation et la remplaçabilité des racisé.e.s étaient centrales à l’idée que la plupart des Blanc.he.s se faisaient des Noir.e.s.
Maintenant que j’ai très rapidement mis en avant une certaine histoire de la race en France métropolitaine, j’aimerais développer l’idée de la Blanchité sous 4 aspects. La blanchité est:
- D’abord un ensemble de savoirs et de représentations. En effet, afin de définir qui est Blanc, qui est Noir, etc. Quel aspect d’une culture peut devenir caractéristiquement blanc (les pommes de terre ou les tomates), et ce qui reste racialisé (des tresses), il est nécessaire de produire des savoirs. Le colonialisme a aussi produit des épistémicides (destructions de quasi total de savoirs et cultures), et permit le développement de sciences spécifiques pour comprendre et influencer les populations que l’Occident cherchait à contrôler. Cela se retrouve encore aujourd’hui dans des régimes de savoirs comme l’Orientalisme, dans les méthodes policières, ou plus proche du quotidien, on pourrait dire, en suivant James Baldwin, que le droit a l’ignorance et à l’innocence est central aux modes de savoirs de la blanchité.
- De ces savoirs peuvent donc découler un ensemble de privilèges. L’exemple communément utilisé, est celle du passe VIP qui donnerait accès à certains bénéfices. Ces bénéfices allant de choses parfaitement symboliques comme la possibilité d’être sans cesse représentés positivement dans les médias et œuvres artistiques, au fait de ne pas être suivi par le service de sécurité dans les magasins, au taux d’incarcération, etc. Il faut noter que ces privilèges ne permettent pas d’éviter l’exploitation. Il est, pour les classes populaires blanches, plus question de pouvoir plus facilement faire face à l’exploitation qu’autre chose.
- Mais c’est aussi un certain type de performances et pratiques sociales. L’expérience noire est ici parlante. Dans “Peau noire, masques blancs”, Fanon raconte une anecdote, selon lui, lorsqu’en France (entendre, en métropole), “on dit: parler comme un livre. En Martinique : parler comme un blanc”. Ainsi, le Martiniquais arrivant en métropole doit se faire aux codes blancs, corriger son accent, etc. Ainsi, lorsque des auteurs afro-américains viennent en France, après la Guerre, pour faire leur travail en pensant s’éloigner du racisme, certains d’entre eux se sont vu reprocher de devenir blancs. Baldwin pouvait donc ainsi dire à propos d’une remarque d’un Africain sur son mentor Richard Wright: “ quand l’Africain m’a dit, je crois qu’il [Wright] se croit blanc, il voulait dire que Richard se souciait plus de sa sécurité et de son confort que de son état noir… Richard a enfin pu vivre à Paris exactement comme il l’aurait fait s’il avait été blanc, ici, en Amérique.” Mais d’ajouter tout de même que pour un noir il fallait “payer le prix d’une telle illusion d’exigences de sécurité. Le prix à payer est de se détourner de tous les pouvoirs des ténèbres, de les ignorer.” Entendre, il faut oublier le racisme.
- Et c’est enfin une technologie de contrôle de populations. Pour parler de sa visite à Attica l’année suivant la mutinerie, Foucault décrivit le système carcéral américain comme étant une machine “d’élimination massive”. On pourrait étendre cette notion en disant que la race, et la blanchité en son centre, est un système qui permet d’éliminer les autres races. Et ce aussi bien figurativement que physiquement. Symboliquement a travers la suppression des moyens de reproduire les cultures minoritaires — que ce soit a travers l’appropriation culturelle, la marchandisation (celle du rap par exemple), qu’en interdisant sa pratique (le port du voile). Physiquement, c’est principalement l’appareil légal qui est mis en jeu. À travers la frontière, le camp (auquel on pourrait lui conférer la forme prison ou cité-dortoir), les corps racisés sont maintenu, politiquement, policièrement, sous contrôle. Cette démarcation entre le corps policé, et celleux qui policent permet de définir la ligne de la blanchité qui se situerait dans ce rôle structurel de contrôle, qui peut prendre place dès lors que l’on appelle la police parce que des jeunes racisés jouent trop fort en bas de chez soi, etc.
Pour conclure, la Blanchité n’est pas un monolithe. D’ailleurs j’ai ici complètement ignoré le rôle du genre, de la sexualité et je suis passé beaucoup trop vite sur la classe. Pour autant ces quelques points permettent déjà de voir ce qui fait la spécificité de la race, et comment l’on pourrait commencer à entrevoir une opposition à la Blanchité.
Sources
“How Does It Feel To Be a White Man?”: William Gardner Smith’s Exile in Paris https://www.newyorker.com/books/page-turner/how-does-it-feel-to-be-a-white-man-william-gardner-smiths-exile-in-paris
Foucault, A propos de la prison d’Attica
Fanon, Peau noire et masques blancs https://monoskop.org/images/f/f4/Fanon_Frantz_Peau_noire_masques_blancs_1952.pdf
Peggy McIntosh, Qu’est-ce que le privilege blanc ? http://www.etatdexception.net/peggy-mcintosh-quest-ce-que-le-privilege-blanc/