Contre le travail, contre le genre

riot
5 min readAug 3, 2021

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Ce texte est une traduction de la dernière section de l’article On the terrain of capital – labour and gender regimes in Yugoslavia (Sur le terrain du Capital — régimes de travail et de genre en Yougoslavie), du journal Antipolitika: anarchist journal from the balkans. Pour soutenir le jounal, son numéro 2 est disponible en anglais chez AK Press, Active Distribution et Black Mosquito. Les deux numéros peuvent être téléchargés sur le site du journal ou de nombreux articles sont aussi disponibles au format web.

Women on voluntary work, Žena u borbi, 1946 (Source, Antipolitika)

L’objectif du Parti communiste de Yougoslavie, ni avant ni après la guerre, n’était pas la lutte contre le capitalisme. Le travail y restait essentiellement un travail salarié, qui joue un rôle important dans la reproduction d’un système qui gère les ressources humaines, avec des régimes de genre caractéristiques du capitalisme. Bien que, sur la base de la littérature existante, la relation entre le travail et le genre ne puisse être discutée qu’à partir de la position des femmes, ce que nous avons voulu faire, c’est examiner à quel point il est dommageable et anachronique de célébrer le régime yougoslave du travail, en particulier dans une perspective contemporaine de critique du genre. Pendant la période d’après-guerre, la morale du travail acharné était une caractéristique des pays capitalistes et socialistes, et l’expérience de la Yougoslavie n’a fait que cimenter structurellement l’identification des travailleur.euse.s, des partis ouvriers et de nombreux gauchistes à la position du Travail. En d’autres termes, à la position du Capital. L’autre aspect complémentaire de la morale du dur labeur est la morale de la famille avec des rôles de genre strictement réglementés, comme en témoigne en Yougoslavie la criminalisation et la pathologisation des homosexuels et des lesbiennes, accusé.e.s de perversion et d’oisiveté, c’est-à-dire d’une attitude défectueuse et indisciplinée à l’égard de la sexualité et du travail, respectivement, pour être une menace à la reproduction sociale.

Que signifie la glorification de la Yougoslavie et du travail de la part des féministes et des gauchistes contemporains, dans le contexte actuel de la crise du travail ? Que signifie pour nous aujourd’hui la célébration du travail féminisé [female toil] ? Qu’avons-nous besoin de construire aujourd’hui avec un travail héroïque ? À l’heure actuelle, les pays développent différents programmes d’emploi, des subventions et d’autres mesures qui devraient atténuer l’instabilité existante, et diverses ONG, y compris féministes et LGBTI, tentent de s’engager auprès de divers sujets inemployables et de les faire entrer dans le monde du travail par le biais de diverses campagnes et propositions politiques : les femmes, les homosexuel.le.s, les jeunes sans expérience, les personnes âgées, les sans-abri.e.s, les personnes handicapé.e.s, les malades chroniques, etc. Dans le contexte de ces tristes efforts, il y a une vision nostalgique de la fausse image de la société de travail yougoslave et de la position des femmes dans celle-ci, pour laquelle nous pensons qu’elle mène indubitablement à des perspectives qui renforcent le rôle de l’État ainsi que de la terreur du travail et du genre. En effet, le capitalisme moderne exige des identités plus souples, mais toujours spécifiques au genre, de sorte que la politique du travail “progressiste” et les politiques “progressistes” liées au genre (égalité des sexes, reconnaissance légale du genre, etc.) continuent de contrôler et de gérer différents sujets conformément aux concepts de genre déjà établis. Ces politiques progressistes ne proposent pas de modes de vie différents du système existant. Leurs aspirations se limitent à déblayer le terrain et à établir un dialogue avec le pouvoir afin de surmonter la crise économique de manière plus égale et plus décente. Les gens ont besoin de rester occupé.e.s — le travail doit donc être plus juste et plus agréable, et les femmes, les homosexuel.e.s et les divers sujets “improductifs” doivent avoir l’impression qu’iels sont aussi, en raison de leur statut de travailleur.euse, des citoyen.ne.s et qu’iels participent aux prises de décisions. La crise moderne ne crée pas seulement des chômeur.euse.s parmi les non-qualifié.e.s et les “difficiles à employer”, mais aussi parmi ceux qui ont soif de postes de direction et qui, sous la forme d’étudiant.e.s en travail social, de carriéristes d’ONG, d’artistes socialement engagé.e.s, de jeunes associé.e.s de syndicats, etc. veulent éduquer, gérer et gouverner les travailleur.euse.s, ou une partie de leur construction de travailleur.euse.s, afin de créer des fonctions et des postes fictifs. Il n’y a pas de plus grand plaisir pour elleux que de dire, en parlant d’un groupe social, qu’”ils sont aussi des travailleur.euse.s”, ou pour un problème social que “c’est une question de classe”, comme si ces déclarations résolvaient elles-mêmes quelque chose. Ce que ces déclarations accomplissent, c’est qu’elles réduisent les gens à une entité malléable et contrôlable qu’ils pourront représenter par leurs ONG et leurs partis, selon la recette gauchiste bien connue de “l’avant-garde” qui gère la production et l’État pendant la “période de transition”.

C’est pourquoi iels continuent à imposer comme modèles les travailleur.euse.s yougoslaves qui ont trimé pour l’État et le parti. Cependant, considérons la possibilité que le refus de s’identifier à la figure du travailleur, ou en refusant de s’identifier au travail, puisse conduire au rejet d’autres rôles sociaux, comme les rôles de genre, qui sont là pour structurer fonctionnellement nos vies et nous éloigner de nos envies et de nos affinités. En plus du refus du travail dans la “sphère productive”, bien sûr, il doit y avoir aussi un rejet du travail dans la sphère non-productive, reproductive, c’est-à-dire le rejet de l’État et de son rôle de permettre la reproduction du travail en codifiant et en gérant le ménage hétérosexuel. Car, en tant que garant de la division du mode de production capitaliste en travail productif et improductif, le genre exige une reproduction continue par la violence et l’État est là pour soutenir cette violence.

En raison du rôle que le genre et l’État jouent dans le mode de production capitaliste, notre lutte contre le travail et le genre ne peut avoir les caractéristiques des luttes ouvrières pour une meilleure position dans le système de production. Tant que nous nous efforcerons de participer au dialogue avec le pouvoir, et de politiser notre lutte en nous associant apparemment à la classe ouvrière et en proclamant que nos questions sont des questions de classe, tant que nous aurons recours à des demandes rationalistes et démocratiques d’égalité politique, tant que nous nous efforcerons d’être représenté.e.s par les partis, les syndicats et les ONGs, nous resterons dans le giron du capital.

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Anti-authoritarian thoughts and post-identity politics. Original texts, translations and archives in French, English and Spanish. @riots_blog

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