Camarades, encore un effort pour décoloniser. Ou, faut-il décoloniser le PIR ?

En guise de conclusion

riot
5 min readMar 30, 2021
Affiche du comité français-immigrés de Lyon en français et en arabe. Il est écrit: “Face à la nouvelle loi problèmes des cartes et des papiers organisons nous. Permanence du comité français-immigrés 3ème 7ème. 5 rue Bonnefoi Lyon 3eme tous les samedis de 15h a 17h”.

Ce texte est la conclusion d’une série de trois articles. Pour lire la première partie c’est par ici, pour la seconde, c’est par , et pour la dernière, par là.

Lors de l’écriture de cette critique j’ai fais des choix qui certainement auront dérangés les lecteur.rice.s, certainement les plus concerné.e.s par ce texte. S’engager dans une critique englobante, et pourtant solidaire, ça n’est pas une chose facile. L’écriture de ces quelques articles a été pour moi le moment de me confronter à la fois au foisonnement des productions décoloniales en France et à la médiocrité de beaucoup de ses critiques. Mais aussi, cela m’aura permit de me retrouver face à mes propres contradictions. J’aimerais, dans les lignes qui suivent, présenter mes choix, non pas comme un mea culpa (nous savons bien qu’il n’y a pas de pureté à avoir, surtout sur des questions si chargées politiquement et si pressantes) mais comme une forme d’honnêteté qui montre clairement certaines des faiblesses de ce petit projet.

  • Malgré l’entête du premier article qui affirmait la diversité des organisations décoloniales dont il est question ici j’ai choisi, par simplicité, de m’adresser au “PIR”. Et ce, malgré le fait que la majorité des personnes auquel je me suis référé au long des articles n’en font plus partie. Ce choix était double. Tout d’abord, je pense que la marque “PIR” restera longtemps collé à ces personnes et tant qu’elles ne seront pas revenues sur nombreux des points que j’aborde, je pense qu’une critique d’une sorte de “pensée PIR” reste utile. Par ailleurs, je ne crois pas que les termes alternatifs “décoloniaux” ou “indigénistes” se prêtent à l’exercice. Si je parlais de “décoloniaux” je ferais exactement la même chose que l’État colonial français, et mettrais dans un même sac des approches diverses (dont la mienne) certaines n’ayant jamais été très proches des positions que j’ai essayé de critiquer. L’indigénisme quant-à lui, malgré quelques retournements circonstanciels de son sens, reste le nom d’un ensemble de tendances venant des élites bourgeoises et intellectuelles blanches ou blanchisées d’Amérique Latine pour encadrer les populations indigènes dans le processus d’étatisation nationale. J’ose espérer qu’il n’est pas un modèle du “PIR”.
  • J’ai choisi exprès les sujets les plus polémiques, ceux qui avaient déjà été débattus. Je pense, comme Joseph Massad, qu’ajouter du discours à des discussions polluées pourrait facilement renforcer les discours hégémoniques. J’espère tout de même que mon approche était assez claire pour que mes textes n’aient pas cet effet. Je dois aussi reconnaître que sur ces questions, les positions des personnes que j’ai critiquées ont beaucoup évolué au fil du temps, et se sont présentées de façon plus nuancées à certains moments qu’à d’autres (contrairement à leurs détracteur.ice.s les plus dur.e.s dont on peut constater l’exaspérante stagnation). J’ai fais le choix de piocher à travers le temps les interventions qui me semblaient les plus polémiques en espérant pouvoir ainsi exposer les limites des propositions. Je vous laisse en juger la pertinence en vous penchant en toute considération sur leurs publications.
  • Au long de l’article j’ai utilisé le terme “indigène” entre guillemets. C’était un outil rhétorique pour indiquer, comme dit dans le premier article, ma réticence à l’emploi trop arbitraire de ce mot si mobile. Pour autant, la réappropriation de l’injure, et le déplacement symbolique des sens des mots sont des choses qui me parlent. Mon inquiétude se porte sur les personnes qui sont exclues de ce nom (et donc ne peuvent plus le revendiquer) plutôt que sur la pertinence de décrire la persistance du Code de l’indigénat en France métropolitaine. Nous ne sommes pas innocent.e.s, mais nous pouvons encore choisir les Relations que l’on veut tisser, et qui on ne veut absolument pas exclure. Mon choix a été fait.
  • Je n’ai à aucun moment qualifié aucun.e camarade d’homophobe, d’antisémite, d’antiféministe, ou d’autres gros mots. C’est un choix politique. Je voulais me détacher de ces tendances, que beaucoup appellent abusivement “libérales”, qui pensent la politique en ajoutant des identités (négatives) les unes sur les autres. Chacun.e sera libre de choisir, après ces articles, si le PIR est réactionnaire ou pas, je laisse ça aux flics de gauche comme de droite. Ce qui me paraît pertinent, surtout dans le cas de mouvements qui annoncent vouloir être libérateurs, c’est de prendre au sérieux les propositions et revendications (comme celle de s’opposer au “vrai antisémitisme”) d’y trouver des limites, de travailler nos contradictions, et de persévérer ensemble dans ce projet de libération.
  • J’aurais voulu, au long de ces commentaires, faire moins de références académiques, et plus de références militantes. Le vide en France (qui commence à se remplir) sur les questions décoloniales ne me l’a pas permis, ni les argumentaires du PIR qui sont, en réalité, remplis de références pas toujours explicites. J’ai cependant choisi de traduire moi-même des textes ou des passages inédits en français. Ça a été pour moi un contre-travail de traduction qui venait compléter ma critique des choix d’importation du PIR. J’aurais aussi aimé avoir une prose moins verbeuse. Plus dans la veine de Genet ou Baldwin, car je sais que ça aurait parlé à Bouteldja autant qu’à moi, et moins dans une forme académique et détachée. Mais je n’ai pas ce niveau d’écriture, et le “détachement” (ironiquement un des attributs des savoirs de la Science tel que le colonialisme l’a produite) était pour moi aussi un moyen de laisser parler non pas l’Autre, mais ces personnes, que je ne représente absolument pas, mais avec qui je me sens solidaire. Non pas pour les sauver, comme le voudrait une sorte de paternalisme, mais pour “me sauver moi-même”, comme le dit Bouteldja, de cette dystopie qu’est la civilisation coloniale.

Je pourrais continuer la liste, mais je m’arrête ici et laisse les autres défauts ouverts à discussion. Comme par exemple le peu d’intérêt que j’ai porté à la réception internationale des activités du PIR et notamment au livre de Bouteldja. Mais comme Gil Anidjar concluait sa réponse à Bouteldja, je conclus la mienne au PIR. Le PIR a apostrophé, il nous a lancé un appel — littéralement — à toutes et tous. Il a ranimé un dialogue — ou est-ce une conversation ? Il a de grandes attentes, et je les entends de multiples manières. J’ai voulu, voir plus loin, explorer ces attentes, et en ouvrir des portes, peut-être à raison, fermées. Je laisserai tout le monde décider auxquelles de ces attentes j’ai le mieux répondu et ce que j’ai moi aussi laissé sous-silence, par erreur, par méconnaissance, par manque de temps, mais jamais par innocence.

J’invite qui que ce soit qui voudrait continuer cette discussion ou voudrait approfondir la réflexion, même vouloir me lire clarifier certains points, à me contacter par email: dashavatara at protonmail point com.

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Anti-authoritarian thoughts and post-identity politics. Original texts, translations and archives in French, English and Spanish. @riots_blog